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d’espérance, excita chez Philippe un intérêt si vif qu’instinctivement, et oubliant qu’il ne la connaissait point, il fit un pas vers elle. La jeune fille l’entendit à son tour. Elle se redressa tout d’un coup et poussa un léger cri. C’en fut assez pour que l’indiscret se rejetât en arrière en balbutiant des mots d’excuse ; et, la pourpre de la honte aux joues, il rentra dans sa chambre, bouleversé d’une émotion où il ne voulut voir d’abord que le remords de son inqualifiable curiosité, tandis qu’il écoutait l’inconnue refermer sa fenêtre d’une main évidemment tremblante d’indignation.

La cloche du dîner, dont le premier appel retentit presque aussitôt, vint subitement prouver au héros de cette scène muette que ce bouleversement n’était pas la simple confusion d’un galant homme surpris dans une attitude équivoque. Philippe n’eut pas plutôt entendu ce tintement qu’il se dit : « Elle va être dans la salle à manger, je vais la revoir. » L’idée de cette rencontre, après ce qui venait de se passer, lui fut si pénible qu’il se leva pour sonner lui-même et demander son dîner dans sa chambre. Mais, quand sa main fut sur le timbre, il ne pressa pas. Il lui était plus pénible encore de laisser échapper ainsi cette unique occasion peut-être de revoir ce visage dont les lignes délicates se peignirent soudain devant son esprit avec une telle netteté de dessin qu’il ferma les yeux pour retenir cette image. Ce ne fut qu’une seconde, et ce fut assez pour que son cœur battît plus vite. Il se rassit, étonné de l’émotion, pour lui absolument nouvelle, qui envahissait tout son être, sans s’avouer encore qu’il venait de recevoir là, sur ce balcon, dans la clarté crépusculaire du beau soir, et devant cette jeune fille en larmes, le coup de foudre de l’amour le plus entier, le plus passionné. L’image s’évanouit, et déjà l’amoureux commençait d’avoir peur, non plus de rencontrer l’inconnue, mais qu’elle-même ne descendît pas pour le dîner. Il écouta. Il crut entendre que l’on marchait dans la chambre voisine, et, détail qui faisait sourire le vieillard, quand il se le rappelait, il commença de chercher précipitamment dans le fond de sa malle son frac qu’il n’avait pas mis une fois depuis son départ de France, sa chemise la moins chiffonnée par l’emballage, sa cravate noire la plus fraîche. Enfin, ce grave fonctionnaire de quarante ans, pour qui de s’habiller avait toujours été une corvée, se dirigea vers la salle à manger de l’hôtel, au second coup de cloche, après avoir pris de sa toilette du soir autant de soin