Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/485

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LE FANTÔME

PREMIÈRE PARTIE


I. — UN HOMME DU PASSÉ


Ce matin-là. — un des premiers du mois de mai 1895, — M. Philippe d’Andiguier, le célèbre collectionneur, « le d’Andiguier des tarots, » comme on l’appelle, entre initiés, à cause d’une pièce merveilleuse de son musée, se promenait de long en large, dans le grand salon qui sert de galerie à ce musée, dévoré par une agitation dont ses collègues en manie quattrocentiste eussent été bien étonnés, s’ils avaient pu le voir aller et venir ainsi, et savoir la cause réelle de cette fièvre d’attente. C’était, autour du vieillard, — M. d’Andiguier, né en 1831, avait alors soixante-trois ans très accomplis, — le plus paisible, le plus enveloppant décor de belles choses, auquel aient jamais pu se caresser les yeux et les rêves d’un sage, désabusé de la vie et décidé à ne plus l’accepter qu’à travers l’ennoblissement et la purification de l’art. Les trois hautes fenêtres de la vaste chambre ouvraient sur un jardin privé, attenant lui-même à un autre enclos, de sorte que les profondeurs vertes d’un véritable parc s’étendaient au loin, baignées de soleil, remuées par une brise tiède, et peuplées à cette heure et en cette saison de cris joyeux d’oiseaux. Les très rares