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Jusqu’ici, l’homme important en était M. Millerand ; c’est aujourd’hui M. le général André. Nous le regrettons, non seulement à cause de la détestable besogne que fait ce dernier au ministère de la Guerre, mais parce que rien n’est plus grave, ni plus dangereux que de le faire sortir de sa spécialité militaire, — d’où il est assez disposé à sortir de lui-même, — pour en faire un général politicien. Avec quelle indignation M. Brisson tout le premier se serait élevé autrefois contre une tentative de ce genre ! Il en aurait dénoncé le péril ! Il n’aurait pas eu de sévérités assez éloquentes contre l’imprudent qui l’aurait provoqué ! N’est-ce pas par des complaisances de ce genre que les radicaux, il y a quelques années, ont fait du général Boulanger ce qu’il est devenu ? M. Brisson a oublié tout cela. Il a invité la Chambre à voter pour M. le général André. Enfin M. Waldeck-Rousseau a ajouté un mot, rien qu’un mot, pour dire que le ministère était solidaire, et qu’il serait atteint tout entier dans la personne d’un seul de ses membres. Là-dessus on a voté.

On a voté d’abord, à une belle majorité de 80 voix, un texte ainsi conçu : « La Chambre, approuvant les déclarations du gouvernement, passe à l’ordre du jour. » Le gouvernement triomphait ; il retrouvait intacte sa majorité d’avant les vacances ; ses amis étaient enchantés et se félicitaient d’un aussi beau résultat. La journée semblait finie et, pour eux, bien finie. Plusieurs autres ordres du jour avaient bien été présentés ; mais ils paraissaient définitivement balayés. Ceux qui l’ont cru se sont trompés. MM. Rispal et Julien Goujon en ont repris un qu’ils avaient rédigé, et ont proposé de le joindre à celui qui venait de l’emporter. C’est une des finesses, ou, si l’on veut, une des roueries parlementaires les plus connues et le plus souvent employées, lorsqu’un ordre du jour a été voté, de le compléter par un autre qui dit exactement le contraire. Avec des assemblées comme celles d’à présent, il y a beaucoup de chances pour que le tour réussisse. MM. Rispal et Goujon avaient cru remarquer, pendant le débat, que la Chambre avait sur le cœur le discours de Lens : dès lors, pourquoi ne pas le dire ? Ils ont demandé à la Chambre de le faire ; la Chambre n’a pas hésité un moment, elle l’a fait. Elle a voté une adjonction ainsi conçue : « Et réprouvant les doctrines collectivistes affirmées dans le discours de Lens. » La majorité n’a été, cette fois, que de 43 ; mais c’est encore une belle majorité. M. Millerand se trouvait atteint en pleine poitrine. Après ce vote, la situation du Cabinet était devenue aussi mauvaise qu’elle paraissait bonne quelques minutes auparavant. On ne s’en est pas tenu là : le jeu de massacre a continué. La Chambre,