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mais les explications qu’il a données sur le caractère de ce projet ont été si confuses qu’il faut attendre le texte lui-même pour en avoir une idée exacte. Cependant, il semble bien que les principes sur lesquels doit reposer la loi annoncée ne sont pas ceux de M. Millerand. M. Millerand exige que, pour dénouer une grève, l’arbitrage soit obligatoire. Les conditions dans lesquelles il devra s’exercer seront d’avance établies par la loi ; les deux parties n’auront qu’à s’y soumettre. Le projet dont a parlé M. Waldeck-Rousseau ne va pas aussi loin : il se contente d’autoriser les parties, c’est-à-dire l’ouvrier et le patron, au moment où ils formeront entre eux un contrat de travail, à y introduire une clause en vertu de laquelle leurs différends éventuels devront être réglés par voie d’arbitrage. De la sorte, a dit M. Waldeck-Rousseau, l’arbitrage deviendra sans doute obligatoire, mais parce qu’il aura été librement consenti. A supposer que la loi en question soit jamais votée, l’expérience seule montrera si cette liberté sera effective, et pour notre compte nous en doutons. La tendance de plus en plus accentuée du parti collectiviste est d’absorber la personnalité de l’ouvrier dans la collectivité syndicale : ce sera de moins en moins à l’ouvrier que le patron aura affaire, mais au syndicat devenu de plus en plus autoritaire et puissant, et celui-ci n’autorisera le contrat que s’il contient la clause de l’arbitrage préalablement accepté. Mais ce sont là des vues d’avenir. Pour le moment, une seule chose apparaît avec évidence : c’est que M. Waldeck-Rousseau n’accepte pas dans son intégralité le principe que M. Millerand a posé à Lens. S’il restait quelque doute à ce sujet, il a été dissipé par M. Ribot. M. Ribot est député du Pas-de-Calais : tous les échos de son département lui ont rapporté les paroles de M. Millerand et il les a rappelées à la Chambre. Cela suffisait pour montrer la profondeur de l’abîme qui sépare, au moins en théorie, M. le président du Conseil de M. le ministre du Commerce. Qu’a fait alors ce dernier ? Il ne pouvait pas se dispenser de répondre à M. Ribot. Croit-on qu’il ait expliqué ses discours de Lille et de Lens de manière à en arrondir les pointes ? Non, certes. Il a dit très fièrement que lorsqu’on avait fait appel à son concours, on savait ce qu’il était et qu’on ne lui avait demandé aucun sacrifice d’opinion. Il n’en a fait, il n’en fera aucun. Il continuera de représenter au ministère ce qu’il représentait autrefois dans l’opposition, et de défendre les intérêts qui lui sont plus particulièrement confiés. Après un tel discours, la scission semblait faite entre M. Millerand et M. Waldeck-Rousseau ; elle l’aurait certainement été à une autre