Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intelligence. Luttons donc dans le champ pacifique de la science pour la prééminence de nos patries respectives. » Il faisait encore, et en y attachant le même sens, cette distinction bien simple : « Si la science n’a pas de patrie, l’homme de science doit en avoir une, et c’est à elle qu’il doit reporter l’influence que ses travaux peuvent avoir dans le monde. » Le jour où il fut sûr d’une de ses découvertes les plus importantes, remontant du laboratoire à son appartement, il l’annonçait aux siens en ces termes : « Je ne me consolerais pas, si cette découverte que nous avons faite, mes collaborateurs et moi, n’était pas une découverte française ! » C’est ainsi que, dans son cœur, tout ce qu’il y avait de noble trouvait un écho. Tous les grands sentimens y tenaient ensemble et y tenaient à l’aise. Le culte de la science, celui de la patrie, celui de l’humanité, il les avait célébrés à la fois et il les recommandait tous au même titre à la jeunesse. « Jeunes gens, confiez-vous à ces méthodes sûres, puissantes, dont nous ne connaissons encore que les premiers secrets, et tous, quelle que soit votre carrière, ne vous laissez pas atteindre par le scepticisme dénigrant et stérile, ne vous laissez pas décourager par les tristesses de certaines heures qui passent sur une nation. Vivez dans la paix sereine des laboratoires et des bibliothèques. Dites-vous d’abord : qu’ai-je fait pour mon instruction ? Puis, à mesure que vous avancez : qu’ai-je fait pour mon pays ? Jusqu’au moment où vous aurez peut-être cet immense bonheur de penser que vous avez contribué en quelque chose au progrès et au bien de l’humanité. » Admirable langage et, au surplus, le seul digne de la jeunesse, à qui on fait injure quand on essaie de la décharger d’un devoir.

Sur un autre point le témoignage de Pasteur n’est pas moins précieux à recueillir. Ç’a été la prétention de quelques savans de notre temps que la science dût donner sur toutes choses l’explication suprême et nous dire le mot de notre destinée. Ils se portaient garans qu’il n’y a plus de mystère. Ils se vantaient d’avoir exorcisé le surnaturel. A les entendre, dans l’état si avancé où sont les sciences, l’esprit humain ne saurait plus admettre aucune notion qui ne puisse être contrôlée par les méthodes ordinaires de la science. Ces savans ont fait école : ils ont vu aussitôt accourir à eux la foule des demi-savans et des faux savans. Or, apparemment, personne en ce siècle n’a eu plus que Pasteur le droit de parler au nom de la science expérimentale. Personne n’a été plus convaincu que la science doit être indépendante, maîtresse chez elle, dans le domaine qui lui est propre. Mais ce domaine, si vaste, soit-il, a ses limites, hors desquelles expirent les droits et s’évanouit