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Pasteur, c’est la bonté. Les marques en abondent dans ce livre consacré à Pasteur intime. On nous cite toute sorte de traits touchans qui témoignent de la vive sensibilité d’un cœur aimant. Tous ceux qui l’ont approché ont fait l’épreuve de son affection, de sa tendresse, d’une sollicitude toujours en éveil. Pour nous, ce qui nous intéresse, c’est de voir comment cette bonté se mêle à son œuvre de savant, la sert et souvent la dirige. Est-il vrai qu’il y ait des savans pour qui la chair humaine n’est que de la chair à expériences, et qui ne se font pas scrupule de donner la mort pour vérifier une hypothèse et satisfaire à une suggestion de leur cerveau en travail ? On l’affirme, et cela nous fait d’autant plus aimer Pasteur pour les angoisses dont il se sentit assailli la première fois qu’il fit sur un être humain l’épreuve de sa doctrine de vie. Il avait beau avoir par devers lui le succès d’expériences multiples et décisives, lorsqu’il s’agit d’inoculer le vaccin de la rage au petit Joseph Meister, ce furent des inquiétudes, des doutes, des nuits sans sommeil. Ceux qu’il avait sauvés d’une mort atroce, il ne se croyait pas encore quitte envers eux. Il s’attachait à eux, il les aidait, il les accompagnait d’une tendresse paternelle. On nous donne quelques-unes des lettres qu’il écrivait à ses humbles protégés : elles sont d’une simplicité délicieuse. En voici une adressée à Jupille, ce petit berger cruellement mordu en défendant ses camarades et qui avait failli périr victime de son courage d’enfant héros : « Mon cher Jupille, j’ai bien reçu toutes tes lettres. Les nouvelles que tu me donnes de ta bonne santé me font grand plaisir. Mme Pasteur te remercie de ton souvenir. Avec moi elle souhaite, et tout le monde au laboratoire, que tu ailles toujours bien et que tu fasses le plus de progrès possible en lecture, en écriture et en calcul. Ton écriture est déjà bien meilleure que par le passé ; mais fais beaucoup d’efforts pour apprendre l’orthographe. Où vas-tu en classe ? Qui te donne des leçons ? Travailles-tu chez toi autant que tu le peux ? Tu sais que Joseph Meister, le premier vacciné, m’écrit souvent. Or je trouve, quoiqu’il n’ait que dix ans, qu’il fait des progrès bien plus rapides que toi. Applique-toi donc le plus que tu pourras. Perds peu de temps avec les camarades et suis en toutes choses les avis de tes maîtres et les conseils de ton père et de ta mère. Rappelle-moi au souvenir de M. Perrot, maire de Villers-Farlay. Peut-être que sans sa prévoyance tu aurais été malade. Et, être malade de la rage, c’est la mort infailliblement. Tu lui dois donc une grande reconnaissance… » Il n’oubliait qu’une chose, c’est la reconnaissance que l’enfant lui devait à lui-même. Aussi est-il permis d’affirmer que ce qui a doublé ses forces, excité sa faculté d’invention,