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quelle tentation de les tenir pour vérités acquises ! Quel drame intime s’engage chez le savant en lutte contre les créations mêmes de son génie ! Pasteur nous en a confié les angoisses. « N’avancez rien, disait-il, qui ne puisse être prouvé d’une façon simple et décisive. Ayez le culte de l’esprit critique. Réduit à lui seul, il n’est ni un éveilleur d’idées, ni un stimulant de grandes choses ; sans lui, tout est caduc. Il a toujours le dernier mot. Ce que je vous demande là est ce qu’il y a de plus difficile à l’inventeur. Croire que l’on a trouvé un fait scientifique important, avoir la fièvre de l’annoncer et se contraindre des journées, des semaines, des années à se combattre soi-même, à s’efforcer de ruiner ses propres expériences et ne proclamer sa découverte que lorsqu’on a épuisé toutes les hypothèses contraires, oui, c’est une tâche ardue. » Au témoignage des hommes compétens, les découvertes de Pasteur sont une merveille d’enchaînement, chacune naissant des autres par voie de conséquence. C’est contre les prestiges même de cet enchaînement logique qu’il se met en garde : « Lorsqu’on voit la bière et le vin éprouver de profondes altérations parce que ces liquides ont donné asile à des organismes microscopiques qui se sont introduits d’une manière invisible et fortuitement dans leur intérieur où ils ont ensuite pullulé, comment n’être pas obsédé par la pensée que des faits du même ordre peuvent et doivent quelquefois se présenter chez l’homme et chez les animaux ? Mais, si nous sommes disposés à croire que cela est parce que nous le jugeons vraisemblable et possible, efforçons-nous aussitôt, avant de l’affirmer, de nous rappeler l’épigraphe de ce livre : Le plus grand dérèglement de l’esprit est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient. » Forte maxime qui, sans doute, en aucun temps plus qu’en celui-ci, ne trouverait son application.

Les luttes que Pasteur eut à soutenir contre ses adversaires ne viennent qu’ensuite ; encore faut-il dire que ces adversaires furent légion et que leur résistance fut acharnée. Quand on apporte des nouveautés aussi hardies et qui vont à révolutionner la science, il est inévitable qu’on voie se lever contre soi tous ceux dont on contredit les notions acquises, qu’on dérange dans leurs habitudes et dans leur routine. Chaque fois que Pasteur annonce une expérience loyalement préparée et dont le succès sera un bénéfice net pour la science impersonnelle, il sent peser sur lui le regard malveillant de tous ceux qui ont personnellement intérêt à ce que l’expérience manque et à qui cela fera plaisir. Après les partisans de la génération spontanée, ce sont les vétérinaires d’Alfort, et après les vétérinaires d’Alfort ce sont les