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l’esprit. Nous avons continué par dire que ces défauts pourraient bien être l’inévitable rançon de la supériorité de l’esprit, et que les bizarreries de l’humeur, les caprices de la conduite, l’orgueil, l’égoïsme, les excentricités maladives et les monstruosités sont l’accompagnement nécessaire du génie, qui lui-même est une maladie et une monstruosité. Autant de sophismes dont la vie de Pasteur fait justice.

Par quelque côté qu’on l’envisage, et à quelque période de son développement qu’on la prenne, on retrouve dans cette vie le même caractère de simplicité. Pasteur ne se distingue du commun des hommes que parce qu’il porte à un plus haut degré les qualités d’honnêteté, de droiture, de conscience scrupuleuse, de volonté tenace, de saine et d’harmonieuse raison. S’il en devait tout au moins le germe au coin de terre où il était né, à la famille où il avait été élevé, ce n’est pas lui qui eût permis qu’on l’oubliât. Les pages où M. Vallery-Radol a décrit le milieu d’origine et conté les années d’enfance de Pasteur, sont parmi les plus précieuses de ce livre. Elles nous font deviner beaucoup de choses. Pasteur est le fils de petites gens. Son père était tanneur. Il avait servi en Espagne et fait la campagne de France : c’est le type de ces soldats de Napoléon en qui s’incarnait l’enthousiasme populaire pour l’Empereur. Sa mère était une paysanne. Les premières années de Pasteur se sont écoulées dans la modeste tannerie d’Arbois : il a suivi l’école primaire, puis les cours du lycée. C’est un élève régulier, laborieux, probe, assez lent à concevoir, sans aucune espèce de brillant, et particulièrement médiocre dans les examens. Une première fois, on l’envoie à Paris, et quel que soit son désir d’y profiter des ressources d’instruction qu’il y trouve, de répondre aux sacrifices que s’imposent pour lui ses parens, un malaise s’empare de lui, le mal du pays le mine et le ronge, en sorte qu’on fut obligé de venir le rechercher. Dans cet intérieur d’artisans, la vie qu’on mène pauvre et difficile s’éclaire d’un rayon d’idéal. « Les parens de Pasteur avaient une façon élevée de juger la vie, de l’apprécier avec ce goût de perfection morale qui seul donne à l’existence, si humble qu’elle soit, sa dignité et sa grandeur. » Voilà l’héritage intellectuel dont Pasteur portait en lui le dépôt, le milieu moral où son caractère s’était formé.

Comment s’élabore la constitution intellectuelle de chacun de nous, c’est un problème qui apparemment restera toujours obscur. Toutefois, dans l’énergie créatrice, dans la puissance de concentration d’un génie tel que celui de Pasteur, peut-être n’est-il pas impossible de discerner une force neuve due aux réserves accumulées par des