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et louangeurs comme il est de mise plus que partout en ce pays courtois, on se sépare, non sans mille : Au revoir ! et à Bogota ! à travers lesquels il me semble bien discerner dans quelques jolis yeux comme un tout petit désenchantement de voir partir ainsi l’avant-garde joyeuse que nous sommes. C’est que nous comptons bien brûler la route à la française, de manière à nous trouver au but dans trois jours.

Et alors, sans retard, du côté du corral, sous le vestibule même de l’hôtel, pleins d’un brouhaha de gens, et de bêtes, retentissans de ruades, de jurons, de traînemens de mors contre les pavés, nous allons donner le coup d’œil du maître à la décisive bousculade qui précède et qui assure des odyssées. Déballages bruyans de selles, de brides et d’étriers, entrées et sorties brutales des mules de charge, bestias, mulas de carga, qu’on vient proposer à notre examen et qui se heurtent violemment aux chambranles des portes, finalement empaquetage, matelassage et imperméabilisation dans une toile goudronnée de nos bagages, qui nous escorteront en bât au dos des susdites mules, non sans quelque péril banal de chocs et d’écrasemens, voire de dégringolade dans la bouc ou les ravins. Pour compléter ce désordre pittoresque et nécessaire, arrivées en coup de vent de cavaliers aux airs importans et pressés, qui s’encadrent un instant sous la voûte, échangent trois syllabes quelconques, piaffent et repartent au galop. Et, gagné, moi aussi, impatient de ma mise pédestre, dès que j’ai choisi la robuste monture qui va me porter à travers les Andes, je m’amuse à revêtir la tenue de voyage usitée en Colombie.

Le pantalon, d’abord ; deux immenses houseaux de toile grise accouplés, qu’on appelle zamarros et dans lesquels on entre tout habillé. Puis je passe ma tête dans la fente de la ruane, simple rectangle d’étoffe admirablement pratique contre le soleil et qui retombe à plis autour des épaules. Et quand j’ai coiffé par-là-dessus le grand chapeau dit de Panama parce qu’il vient de Guayaquil, tout blanc, en pain de sucre, garant de la pluie et du soleil, que j’ai fait boucler mes formidables éperons, aux molettes mexicainement relevées et plus larges que des doublons, mes éperons historiés dont chaque pavé réveille la sonnerie conquérante, et enfin que j’ai chaussé, complétant ma selle à haut pommeau et à fauteuil, mes étriers presque arabes, qui sont de lourds sabots en cuivre ciselé excellens contre le raclement des roches ou le