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gracieuses poitrines, dont la clarté auréole les chevelures en diadème, de sa douceur de veilleuse. A travers ce voile naturel, la flamme du cocuyo prend une délicatesse amortie, une discrétion confidente. On en assure la conservation en entretenant le pyrophore dans une tige creuse de canne à sucre. Facile d’ailleurs à saisir, quand il circule la nuit, éclatant et pourpre comme un charbon ardent, il éclipse complètement les lucioles, plus pâles, aux lueurs plus verdâtres et froides. Pendant le jour, il dort on ne sait où, c’est un noir et paresseux malacoderme ; et puis descende le soir, la chaude obscurité sépulcrale, il se réveille d’un coup, il s’enlève, il commence son vol frémissant, ses longs zigzags en coup de fouet ; roi des ombres, il passe, avec sa rougeur violente et lointaine de phare, son éclat de tison, tel un œil de cyclope inquiet qui se multiplierait dans tous les coins de sa caverne.

Et puis d’instinctives associations d’idées font les yeux se lever. Comme là-bas, sur les rivages de la Côte d’Ivoire, comme dans la forêt d’insérim où je l’ai tant de fois contemplée, où elle continue à luire sur des paysages que je ne reverrai plus, la Voie Lactée, avec une intensité inconnue à notre ciel parisien, son aspect de petites buées pommelées, roule, bifurque son torrent de mondes dans cette première nuit d’Amérique, et la Croix du Sud se redresse encore, solennelle, entre les pieds du Centaure.

Le lendemain, toujours fidèle à l’aurore, notre curiosité de voyageurs impatiens prend contact avec la route que nous allons suivre, le trouble et magnifique Magdaléna.

Pour pénétrer dans ce pays profond, la côte Caraïbe n’offre guère en effet qu’une passe, mais elle est grandiose. Elle figure bien vraiment l’avenue naturelle de ce Capitole que le Tolima couronne au cœur de la Colombie, roi de l’air glacé et des neiges. Et nous en avons, à nos pieds mêmes, un caño, une diramation. Subdivisée à son tour, — jusque dans le plus perdu de ses rivulets, qui sert de promenoir minuscule et tortueux à des défiles de canards, elle reste une partie de sa force, une onde du Magdaléna. Lui-même nous apparaît enfin. Des frontières de l’horizon, large et puissant comme un bras de mer, il s’avance, il s’étale, il fuit. Toute sa masse tranquille roule avec une majesté fille des cimes d’où il descend. Dans ses eaux, qui sont ainsi jaunes et limoneuses perpétuellement, il charrie un peu de ses montagnes, il est, pour ses rives, un Nil de fertilité. A le contempler si