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médiate ; on y trouve, par exemple, la théorie complète du transformisme, l’affirmation de l’unité chimique des corps simples ; on y trouve le clair pressentiment de la photographie, le pressentiment non moins clair de l’origine infectieuse des maladies ; et c’est encore Novalis qui a eu, le premier, l’idée des colonies ouvrières et des sociétés coopératives ; sans compter qu’il a créé de toutes pièces le programme d’un art nouveau, où tous les arts particuliers, unis et combinés, serviraient à produire un grand drame, à la fois plastique, poétique, et musical, à la fois mythique et symbolique, le drame même qu’a ensuite tenté Richard Wagner. Mais, comme il le dit dans un de ses Fragmens, « les sciences ne vivent que par leur élément philosophique : sans lui, elles ne sont qu’un cadavre inerte. » Et c’était au point de vue de leur « élément philosophique » qu’il considérait les diverses sciences. Il y cherchait la révélation de la grande âme universelle, qui, à son tour, lui apparaissait comme le reflet idéal de son moi créateur. Son rêve était de tirer des sciences une sorte de « système de la nature, » un immense poème qui fût ensemble une œuvre de beauté et la plus haute expression de la réalité. Et c’est à la réalisation de ce rêve que furent employées les dernières années de sa courte vie.

Il voulut, d’abord, écrire une « encyclopédie, » ou ses idées seraient énoncées sous forme dogmatique. Ses Fragmens sont, pour la plupart, des notes écrites à l’intention de ce grand ouvrage. Mais, soit qu’il ne se sentît pas assez mûr pour en entreprendre la rédaction, ou que la forme d’abord choisie ne lui convînt plus, son projet d’encyclopédie se trouva un jour transformé en un projet de roman. Ainsi naquit l’idée d’Henri d’Ofterdingen.

Parmi les livres dont Novalis faisait sa lecture constante, aucun n’avait tenu autant de place dans sa vie que le Wilhelm Meister de Goethe. Il s’en était imprégné pendant de longues années, en avait médité jusqu’aux moindres détails, et sans cesse en avait admiré davantage l’admirable style. Mais de plus en plus, à mesure qu’il le relisait, il avait été choqué de la sécheresse d’âme qu’il y avait trouvée, comme aussi des tendances réalistes et immorales qu’il croyait y voir. « Un malfaisant chef-d’œuvre, — disait-il, — un Candide dirigé contre la poésie. » Le roman qu’il projeta d’écrire devait être une contre-partie de Wilhelm Meister, un Candide destiné à la glorification de la