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s’était accoutumé à « rêver du ciel. » Et vraiment, comme l’écrivait Frédéric Schlegel à Schleiermacher, il y a quelque chose de « céleste » dans l’harmonie de tous ces poèmes. Mille nuances d’émotion s’y trouvent exprimées sans qu’on aperçoive, pour ainsi dire, le passage de l’une à l’autre, et jamais deux strophes n’ont le même rythme ni la même mélodie, et toutes, cependant, découlent l’une de l’autre, toutes forment un ensemble d’une grâce parfaite.

L’Hymne à la Nuit est une sorte de symphonie lyrique que je ne puis mieux comparer qu’au second acte de Tristan et Iseult. Le poète invoque la bienfaisante douceur de la nuit, il voit en elle le symbole de la vie intérieure, de l’amour, de la beauté ; et sans cesse son invocation devient plus pressante comme aussi plus distincte, jusqu’à ce que, dans les dernières pages, il aspire de toute son âme à une nuit qui ne finisse point. Mais, au contraire des deux amans wagnériens, Novalis n’aspire à cette nuit que parce qu’elle est, pour lui, la seule vraie lumière. Cette nuit signifie à ses yeux la victoire suprême de l’âme, son affranchissement des mauvaises ombres de notre soi-disant réalité terrestre, son entrée, son retour dans sa patrie éternelle. Avec la variété de son symbolisme et le souffle de passion humaine dont il est pénétré, l’Hymne à la Nuit est essentiellement un poème chrétien.

Car, en même temps que l’amour de Novalis a fait de lui un poète, il a rouvert en lui les sources de la foi. Auprès du lit de mort de sa bien-aimée, le jeune homme s’est rappelé les prières qui, enfant, l’avaient consolé, bercé, et l’avaient conduit à ses premiers rêves. « Il y a au monde, écrivait-il dans son Journal, des fleurs qui n’appartiennent pas au climat de cette terre, des fleurs d’origine évidemment supra-terrestre, et qui sont pour nous le signe, l’annonce d’une meilleure vie. La religion et l’amour sont deux de ces fleurs. » Ces deux fleurs se sont épanouies ensemble dans le cœur de Novalis ; et toute son œuvre de poète n’a plus été, depuis lors, que l’écho des sentimens qu’elles lui ont inspirés.

Encore pourrait-on supposer que dans son amour pour Sophie entrait une part d’illusion et de fantaisie : mais sa piété, du jour où il l’a retrouvée, n’a point cessé d’être la simple et profonde piété dun enfant. Parmi les pensées de toute sorte qui lui naissaient à l’esprit, et dont ses Fragmens nous gardent la trace, vainement on chercherait l’ombre d’un doute, ou simple-