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LE POÈTE NOVALIS.

Son père commençait à désespérer de lui, lorsque l’idée lui vint d’appeler à son aide ce Frédéric Schiller dont son fils lui parlait avec tant d’enthousiasme. Et ce fut Schiller qui, à la demande du vieux baron de Hardenberg, entreprit de ramener Novalis à l’étude du droit. « Schiller, — écrivait Novalis, — vient de me convertir. Il m’a révélé des fins supérieures, et que jusqu’ici je n’avais point soupçonnées, dans ces graves sciences qui, je le vois à présent, ont de quoi intéresser passionnément tout homme sain d’esprit et de cœur. » Et, pour mieux profiter de sa conversion, il résolut de quitter le milieu, trop littéraire, d’Iéna, pour aller faire son droit à l’université de Leipzig.

Il rencontra à Leipzig un jeune homme qui n’eut certainement pas sur lui l’influence profonde qu’avait eue Schiller, mais qui devint, depuis lors, le plus intime de ses confidens. « Figure-toi, — écrivait Frédéric Schlegel à son frère Auguste-Guillaume, — que la destinée a envoyé sur ma route un garçon dont on peut tout attendre pour l’avenir. Il m’a plu infiniment, je lui ai plu aussi, et bientôt il m’a ouvert au large le sanctuaire de son cœur. Tout jeune encore, d’éducation raffinée, un charmant visage avec des yeux noirs d’une expression magnifique. Et une rapidité de conception et d’élaboration vraiment surnaturelle. Figure-toi qu’il ne tient pas à la vérité, mais à la beauté ! Il m’a exposé son opinion, avec un feu sauvage, le premier soir où il est venu chez moi. Il dit qu’il n’y a au monde rien de mauvais, et que l’humanité, partie de l’âge d’or, finira tôt ou tard par y revenir. Jamais je n’ai vu une aussi parfaite gaieté de jeunesse... Son nom est Frédéric de Hardenberg. »

Le soir où Novalis, dans une petite chambre d’étudiant, à Leipzig, « exposa son opinion » devant Frédéric Schlegel, c’est de ce soir que date l’école romantique allemande. Et l’on ne peut s’empêcher de se rappeler, à cette occasion, les lettres où un autre jeune homme élu d’en haut, Mozart, exposait à son père le devoir, pour l’artiste, de maintenir la vérité dans les limites de la beauté. Aussi bien Mozart est-il peut-être, de tous les poètes, celui dont le génie ressemble le plus à celui de Novalis. Et tous deux, par un touchant privilège, ont pu garder jusqu’au bout leur « gaieté de jeunesse. » On lit dans les Fragmens de Novalis : « Darwin a fait la remarque que la lumière du jour, à notre réveil, nous aveugle moins quand nous avons rêvé d’objets lumineux. Heureux donc ceux qui, dès ce monde, ont rêvé du ciel ! Ils seront ainsi