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LE POÈTE NOVALIS.

Henri d’Ofterdingen Novalis, comme on sait, n’a pu écrire que le premier chapitre ; le recueil complet de ses poèmes tient à peine cinquante pages ; et, si l’on excepte de son œuvre les Fragmens extraits par ses amis de ses cahiers de notes, ces poèmes et ce chapitre de roman forment la totalité de son bagage littéraire, avec un petit conte philosophique et un article de dix pages sur le Christianisme. C’est avec ce mince bagage que la gloire de Novalis a traversé tout un siècle : et un phénomène aussi rare prouve assez, à lui seul, qu’il y a dans l’œuvre du poète romantique quelque chose de plus « spiritualisé » et de plus « éclatant » que dans les dialogues imaginés par la jeune amie de Heine entre un lampion et un cygne sauvage. Mais, au reste, le phénomène, pour rare qu’il soit, n’a plus rien qui étonne dès que l’on a jeté les yeux sur l’œuvre de Novalis : œuvre qui ne pouvait, en effet, avoir à craindre la concurrence d’autres œuvres de poètes, car elle ne ressemble à aucune autre, et restera à jamais unique dans son genre. Elle est, avec cela, parfaite, écrite en une langue d’une sobriété, d’une justesse, d’une harmorie merveilleuses ; elle est si riche d’idées que Carlyle a pu dire d’elle qu’elle « transportait la pensée dans un monde nouveau ; » mais surtout elle est tout imprégnée, pétrie de poésie. Qu’on lise Henri d’Ofterdingen ou l’article sur le Christianisme, les hymnes à la Vierge ou les Fragmens, un même parfum se dégage de ces écrits divers : le parfum d’une âme passionnément, exclusivement poétique, portée, par instinct à la fois et par habitude, à ne concevoir toutes choses que sous la catégorie de la pure beauté.

Trois hommes qui, tous trois, avaient dans leur jeunesse connu Novalis, Frédéric Schlegel, Schleiermacher et Henri Steffens, se sont rencontrés plus tard à lui appliquer l’épithète de « divin : » ils voulaient sans doute désigner par là cet indéfinissable rayonnement de génie qui, après cent ans, continue à émaner pour nous de son œuvre. Mais lui-même nous a laissé un terme meilleur encore pour le définir. Un de ses Fragmens se termine par ces mots, en français, et notés peut-être dans quelque livre français : « Toujours en état de poésie. » C’est « en état de poésie » qu’il a vécu toute sa vie. Il était « ivre de poésie » comme Spinoza, d’après lui, était « ivre de Dieu, » comme le Japonais Hokousaï se disait « ivre de lignes et de couleurs. » « La poésie, lisons-nous dans un autre de ses Fragmens, est la seule réalité absolue : là est le noyau de ma philosophie. Plus une chose est belle, plus elle est