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simple et robuste. Avez-vous considéré la vitrine du bottier pour dames de Christiania ? C’est avec ces bottines qu’elles se font enlever, les héroïnes d’Ibsen. La rusticité candide de leurs chaussures en dit plus qu’un long commentaire sur les personnages du dramaturge. — Le home tranquille de l’Angleterre reflétait la personnalité vigoureuse que cette race n’abdique jamais ; et aussi la grâce aristocratique de ses femmes, telle que l’ont fixée d’inimitables portraitistes sur les images des contemporaines de Pitt. Dans le palais où l’Allemagne nous rendait galamment quelques joyaux de notre art, une volonté qui s’est juré de primer en tout et partout nous commandait d’admirer la richesse neuve, l’effort ambitieux, l’ordre et la pompe un peu lourde de sa vie impériale. La magnificence chevaleresque du Hongrois éclatait dans son château gothique. Le caravansérail de bois du Bosniaque racontait les mœurs pittoresques et la sauvagerie apprivoisée de cet échappé du joug turc. L’Américain se peignait au vif à chaque étage de son hôtel : on n’y trouvait que des bureaux d’affaires, des machines à écrire, des réclames, des journaux, des gens pressés en train de les lire ou de rédiger leur correspondance. Business partout ! Ces mêmes Américains nous avaient apporté un engin plus redoutable que les canons-revolvers : la machine qui crée et vomit le journal automatiquement, d’une seule opération. En pianotant quelques minutes, un seul homme, un enfant au besoin, lève la lettre, compose, cliche les caractères sur le cylindre… C’est rapide et total comme le débit d’un porc en charcuterie dans l’usine de Chicago.

Mécaniques stupéfiantes, applications ingénieuses des sciences, merveilles et bizarreries de la nature, objets témoins de la plus ancienne histoire, premiers balbutiemens des inventions qui révolutionneront demain notre vie, c’est la rencontre fortuite et fréquente de ces surprises qui donne tant de piquant aux flâneries dans les expositions. L’éveil de pensée qu’elles suscitent peut être aussi fécond qu’une grave lecture ou une docte leçon. Ne recherchons pas si les galeries de 1900 étaient plus riches en bonnes fortunes que celles de 1889 ; elles l’étaient assez pour retenir longtemps toutes les curiosités intelligentes. Parmi ces « attractions » mêmes qui ne portaient pas l’estampille officielle et ne prétendaient point à nous instruire, plus d’une possédait le don d’évocation où poètes et songeurs vont puiser des joies délicates. A côté d’inepties qui reculaient les bornes de la niaiserie,