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pu déterminer, et nous ne découvririons pas plus que lui à quel style appartient cette innommable mixture de rococo viennois et de cambodgien. Les délicats sont malheureux, la foule est ébaubie devant ces façades et ces couronnemens où tant de femmes nues se relèvent en bosse.

Voilà pour l’ingrate critique. Si nous ne l’avons pas ménagée, c’est que le colosse était de taille à se défendre. L’Imposition noyait des parties choquantes dans un ensemble auquel on peut tout reprocher, excepté l’absence de vie. La vie bouillonnait dans ce vaste réservoir d’énergies, et c’est le principal. En regard du passif, il faudrait mettre à l’actif de l’inventaire tout ce qui honorait le goût français, enchantait les plus difficiles, instruisait l’esprit et charmait les yeux.

Quelques fautes de détail qu’on leur ait reprochées, les architectes des deux Palais des Arts peuvent être fiers de leur œuvre attrayante et grandiose. Avec ces deux palais, avec le pont Alexandre et la perspective triomphale qui reliera désormais les Champs-Elysées au dôme des Invalides, l’Exposition laisse à notre Paris un embellissement durable. Il aura le chagrin d’en perdre un autre, le gracieux encadrement de son fleuve. Les ordonnateurs de la féerie ont trouvé là leur plus heureuse idée, ils l’ont réalisée à souhait. Quelle jolie promenade à travers le monde, cette coquette rue des Nations ! Comme elle symbolisait bien l’hospitalité française ! La plupart des maisons étrangères étaient d’une bonne couleur locale ; un goût éclairé avait présidé à leur aménagement, à leur ornementation. Plusieurs d’entre elles enfermaient vraiment l’âme d’une race et rappelaient au voyageur la physionomie caractéristique d’un pays.

La maigre et noble Espagne nous est apparue tout entière, dans ces salles vides où elle exposait fièrement ses seules richesses, la tunique de Boabdil, les tapisseries des Flandres, les armes de Charles-Quint. Telle nous nous représentons la maison de don Quichotte. On le voyait, ce cher homme, on le comprenait mieux, on était tenté de le relire, dans la locanda démeublée où il n’avait daigné apporter que ses haillons splendides, ses rondaches et ses armets. — De même on eût voulu relire La Dame de la mer dans le pavillon de Norvège, semblable à un vaisseau, meublé par des pêcheurs, saturé d’une odeur de salure et de goudron. Tout y était frais et sain comme la brise des fjords sur la neige des montagnes ; tout y décelait un peuple exempt de vices,