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courage, alors que le succès s’annonçait incertain, de souffler sur l’illusion de ces braves gens ? Le plaisir du libre examen ne vaut pas le chagrin que l’on fait à ceux que l’on désenchante. Devant une entreprise où tant d’humbles intérêts sont attachés, l’apparence même du dénigrement est odieuse et inhumaine.

Il convenait donc d’attendre la fin de l’expérience avant de la juger impartialement. Elle est achevée. On peut maintenant se demander, et nous le ferons très brièvement, comment elle a répondu à notre attente, ce qu’elle nous a apporté de nouveau, quels enseignemens elle nous laisse.


I

Les circonstances ne l’ont pas favorisée. En la voyant débuter à un moment si mal choisi, on songeait à la visiteuse inopportune qui entre dans un salon le jour où les maîtres du logis ont un enfant malade, un feu de cheminée, des affaires urgentes au dehors. Les étoiles avaient été plus clémentes à sa sœur aînée, au printemps de 1889. Elle succédait à la crise du boulangisme, comme une féerie au mélodrame qui a mis les spectateurs en goût d’émotions. Cette crise n’avait pas assombri les esprits : je ne sais quel élément de gaieté l’empêcha toujours de tourner au tragique. Sur les chromolithographies et dans les imaginations obsédées, la tour Eiffel remplaçait naturellement le brave général. Le monde était en paix, aucun nuage à l’horizon : les gens de loisir n’avaient dans toute l’Europe d’autre affaire que de se divertir.

En cette année 1900, après le plus cruel déchirement moral que notre pays ait subi depuis cent ans, des ulcères envenimés saignaient encore dans les cœurs. L’Exposition aura fait l’office utile d’un calmant ; mais cette tâche ardue n’a pas facilité ses débuts. Au dehors, de graves soucis détournaient la plupart de nos invités. L’Angleterre était absorbée par les préoccupations de la guerre sud-africaine ; la fantaisie peu châtiée des caricaturistes avait froissé chez nos voisins des susceptibilités qui n’ont pas désarmé. Dans cette société où toute mode vient des sommets, le mot d’ordre donné et rigoureusement observé jusqu’au bout par les hautes classes nous a certainement privés d’un gros contingent de visiteurs. Une douloureuse catastrophe rappelait chez eux beaucoup de nos hôtes italiens, ce deuil national condamnait à l’abstention le monde officiel de la péninsule. Mais c’est,