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leur était odieux comme le gouvernement qui l’exploitait. Dans l’autre, les thuriféraires : ceux-là ne souffraient pas la plus légère critique ; l’Exposition formait un bloc auguste, intangible ; y reprendre le profil d’une corniche ou la disposition d’une vitrine, c’était un crime de lèse-patriotisme ; quiconque ne tombait pas en pâmoison trahissait la France.

Ces anathèmes ridicules sont une des formes, et nous en signalerons d’autres, de l’aberration singulière qui compromet les Expositions en dénaturant le caractère propre de ces vastes foires périodiques, en leur demandant de trop montrer, de trop signifier. Elles n’ont pas de commune mesure avec les grandes parties diplomatiques ou militaires qui mettent en jeu l’honneur et les destinées d’une nation. Des intérêts nombreux se sont ligués pour monter une affaire colossale : tant mieux s’ils réussissent ; mais le sort de la patrie n’est pas engagé dans cette aventure, notre liberté d’appréciation reste entière.

Encore plus folle est la prétention de ceux qui plantent le drapeau d’un parti politique sur les chantiers du travail national. Faciliter et coordonner l’effort commun, édicter de bonnes réglementations de police, c’est à quoi se borne le rôle des pouvoirs publics dans ces entreprises industrielles. On serait d’ailleurs fort empêché de désigner les créateurs officiels d’une Exposition ; pendant sa lente gestation, trois ou quatre équipes se succèdent au cinématographe ministériel ; le hasard du scrutin en amène une cinquième à la veille de l’inauguration. Attribuer à ces parrains fortuits la paternité d’une œuvre de longue haleine, de notre œuvre à tous, c’est imiter le fétichisme qu’on plaisante chez nos cultivateurs, lorsqu’ils imputent au gouvernement du jour la bonne ou la mauvaise récolte. Ce gouvernement joue son jeu en accrochant son enseigne sur la maison où il entre et qu’il n’a point bâtie ; opposans et officieux donnent dans le panneau, les premiers avec une rare maladresse ; car les critiques comme les éloges servent également une prétention injustifiée.

Pour parler de l’Exposition avec justice et liberté, il fallait d’abord laisser passer le flot de passions et d’équivoques où elle naquit. Il fallait surtout respecter l’espérance. Tout un peuple de petits travailleurs avait mis là son cœur, sa peine, son rêve de fortune. Comment ne pas se laisser gagner par la bonne grâce charmante de notre ouvrier parisien, quand il revendique sa part d’une œuvre collective dont il est fier ? Qui aurait eu le