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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Mais à quoi bon les reproches inutiles ? Maintenant, pour que la France redevienne grande, pour que l’œuvre de relèvement s’accomplisse, il ne nous faudra pas seulement consacrer notre or et nos pensées à refaire longuement, patiemment, des soldats et des chefs. Car pour la première fois je suis de l’avis de Thiers, les armées ne s’improvisent pas ! Et, malheureusement, il faut des armées. J’abomine la guerre, je voudrais la supprimer du monde, je voudrais que des arbitrages internationaux… Mais c’est un rêve ! le progrès est lent ! Nous avons mis des milliers de siècles à venir où nous en sommes. Les idées les plus élémentaires d’humanité et de justice sont comme la fleur de l’aloès, qui met cent ans à fleurir. On se battra longtemps encore ! Et c’est pour cela que non seulement j’admets comme nécessaire l’armée permanente, mais que je la souhaite si forte que désormais, avant d’attaquer la France, on y regarde à deux fois. Je vais plus loin, puisqu’en dépit de toutes nos civilisations, l’homme reste à l’homme un loup, je voudrais, par des inventions terribles, rendre la guerre si dévastatrice, que les peuples terrifiés reculent !

Une flamme luisait dans ses yeux. Le chimiste en revenait à son idée fixe, pensait à son petit jardinet de Montmartre, au laboratoire silencieux, où, par amour de l’humanité, il allait, dans l’aguet des cornues, chercher le moyen d’élargir la mort. Il ajouta, d’une voix plus calme, tout au progrès lointain :

— Que cela ne nous fasse pas oublier les deux chères provinces que, dans une heure d’égarement, la France, contre tout droit, a retranchées d’elle. Pensons-y toujours. J’ai foi dans une revanche pacifique. La justice nous rendra ce que nous a enlevé l’injustice. Une autre heure sonnera où, à son tour, le droit primera la force… Oui, en attendant, refaire l’armée, la flotte… Mais ce n’est pas assez, ce n’est rien, si nous ne refaisons d’abord l’âme nationale. Aux tout petits, dès l’école, enseigner pourquoi et comment nous avons été battus ; reconnaître nos fautes ; insuffler à tous l’énergie, la méthode, la volonté ! Au besoin, apprendre, nous, d’abord, pour pouvoir l’apprendre à l’ouvrier, au paysan, tout ce qui fait qu’un peuple est grand. Donner au plus humble la conscience de soi-même, le respect de la justice et le culte de la patrie.

Du Breuil résuma :

— Moraliser le peuple en l’instruisant.

Ils marchèrent en silence. Là-bas, au pied du perron doré de soleil, les deux de Nairve les regardaient venir. Du Breuil et