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les départemens, affirmer les résolutions de Bordeaux, la continuation, après l’armistice, de la lutte à outrance.

Le lendemain, dans l’effervescence de Bordeaux, débarquait enfin le « personnage annoncé de Paris. » C’était Jules Simon, ayant égaré avec sa malle le texte du décret électoral. Son entrée à l’hôtel Sarget déchaînait la tempête. Gambetta, avec violence, l’apostropha : « Que venait faire ce capitulard ?… Pourquoi n’avait-on pas consulté la Délégation ? Qu’il s’en retournât à Paris, lui et son décret !… » Et, ne parvenant pas à maîtriser son indignation, il l’accablait des plus durs reproches, lui barrait la porte. Le maire et les deux adjoints, introduits, déclarèrent qu’on ne pouvait sans danger pour l’ordre suivre les instructions de Favre. Simon se résignait à rédiger une dépêche à ses collègues, demandait des ordres, et, fatigué, il se retira.

Impuissant à briser l’obstacle de front, il songeait à le tourner. Cette manœuvre se conciliait mieux avec son caractère onctueux, tenace et prudent. Ses papiers les plus précieux, notamment le décret de Paris qui, en cas de conflit, lui donnait pleins pouvoirs, et sa nomination de ministre de l’Intérieur, mis en dépôt chez le président de la cour d’appel, il se terrait chez un ami, dans une petite rue écartée. Il n’était pas seul : d’immédiats appuis le soutinrent. Thiers d’abord, chef occulte de l’opposition, dont les conseils et les avis ne le quittèrent pas. Le grand parti des mécontens s’orientait vers la rue Poudensen, toute la presse conservatrice en tête. Elle s’était coalisée, bonapartistes, légitimistes et orléanistes fondus en un seul comité. On ne pardonnait pas à la Délégation d’avoir touché à l’inamovibilité de la magistrature, de, prétendre remanier le personnel de l’Instruction publique et des Finances ; tous les griefs passés s’y ajoutaient : dissolution des conseils municipaux et généraux, zèle républicain des nouveaux préfets ; et le présent : cette atteinte au principe électif, cet ostracisme de toute une classe de citoyens ! Mais ce qui dominait tout, c’était le haro contre Gambetta, ce tyran, cet énergumène qui voulait encore la guerre ! Le général Foltz, commandant la division, faisait offrir à Simon son concours dévoué, consentait à donner des ordres comme ministre de la Guerre et à occuper préfecture et télégraphe ; même il faisait venir à Bordeaux deux batteries. On pouvait compter aussi sur certains bataillons de la garde nationale.

Et, tandis que la foule se portait au Grand-Théâtre, débordant