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préhensible silence de Paris, les protestations de Clinchant et de Garibaldi contre la poursuite des hostilités, activement menées par l’ennemi, en dépit de la trêve déclarée. L’armée de l’Est était anéantie, suspendues les tardives diversions que Freycinet avait ordonnées. Garibaldi, loin de pouvoir soutenir Clincbant, comme le délégué, « faisant appel à son grand cœur, » l’en suppliait, se soustrayait lui-même à une défaite certaine, évacuait en hâte Dijon, après avoir envoyé du côté de Dôle le vain secours de quelques francs-tireurs. Poncet ne tenait pas en place. De quel fatal malentendu était-on victimes ? Pourquoi Favre, sommé par dépêche à Versailles de s’expliquer, faisait-il le mort ? Pourquoi le « membre du gouvernement » annoncé n’arrivait-il pas ? Soudain une rumeur vola. Dans le bureau, autour de Poncet, on n’y voulait pas croire ; une dépêche de Chanzy transmettait au ministre la copie, remise par Frédéric-Charles, de la convention excluant Bourbaki et Belfort. Poncet apprit qu’à ce coup de foudre, Gambetta furieux venait de se précipiter dans le cabinet de Freycinet, et, saisissant à la cravate le dévoué général Thoumas, avait crié : « Je comprends qu’un avocat, hébété par la peur, ait commis une pareille balourdise et une semblable infamie, mais ce Jules Favre était assisté d’un général ! Que le sang de l’armée de l’Est et la honte de la défaite retombent sur lui ! » Pour comble de dérision, une seconde confirmation arrivait presque aussitôt. Elle était de Bismarck. Le chancelier, en attendant que la dépêche de Gambetta parvînt à Favre, croyait devoir, à titre de renseignement, communiquer le détail des clauses : il se donnait le plaisir, la partie gagnée, de montrer comment il avait su abuser du monstrueux oubli, de la nullité de son adversaire.

Gambetta, lorsqu’en pleine poitrine l’avait frappé le traité imprévu qui désarmait le pays, rentrait de Lille. C’était au moment où il venait de s’entendre avec Faidherbe et Chanzy, réorganisant leurs armées, que s’écroulaient ses espérances. Paris encore, il s’attendait depuis longtemps à sa chute, il l’avait prédite ; pas une de ses dernières lettres où il n’indiquât le danger du siège passif, n’accusât l’inertie de Trochu. Même, dans sa correspondance avec Favre, il avait envisagé la conduite que la Délégation aurait à tenir, Paris tombé ; car pas un instant il ne pouvait admettre que la reddition de la capitale fût la perte de la province. De bonnes élections sauveraient tout, une Assemblée épurée où ne trouveraient place ni les membres des anciennes