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occuper le défilé des Planches, l’ennemi délogeait ces postes harassés, séparait Crémer de Pontarlier. En avant de la ville, à Sombacourt, un bataillon hanovrien s’emparait d’une division entière et de ses généraux, et, ne perdant que deux morts et cinq blessés, ramassait dix canons, sept mitrailleuses, deux mille sept cents hommes ; le brigadier Minot, qui avait abandonné Quingey, et le divisionnaire d’Astugue, prévenus deux heures avant, allaient se mettre à table. Échappèrent ceux qui avaient de bonnes jambes. À Chaffois, la division Thornton tenait ferme. Mais, partout, une grande nouvelle faisait cesser le feu ; au Sud, le 24e corps, en marche vers les défilés, s’arrêtait ; de toute part une stagnation fatale achevait d’immobiliser aux barrages le fleuve inerte.

Clinchant, à Pontarlier où, contre son attente, il ne pouvait stationner, faire la guerre de montagnes, faute de vivres, venait d’être avisé par le gouvernement de Bordeaux de la conclusion de l’armistice. Instantanément le bruit s’en répandait, allait jusqu’aux détachemens les plus éloignés porter le soulagement et la joie. Les armes tombaient aussitôt de ces mains qui ne les retenaient qu’à peine. Ces bandes désemparées respirèrent ; on entrevoyait un répit, l’enivrement du repos, des besoins rassasiés. Dans la ville, devant la mairie, les soldats dansaient et chantaient autour du falot éclairant l’affiche bénie ; ils se mutinèrent quand des officiers voulurent, au rappel de la générale, les porter en avant ; un parlementaire de Clinchant partait en hâte pour notifier à Manteuffel la suspension d’armes. Il était temps. Les batteries ennemies, sur la côte de Chaffois, s’apprêtaient au bombardement.

Mais le parlementaire, dans la nuit, revenait. On n’avait, déclarait-on avec duplicité au quartier général allemand, connaissance de rien ; pourtant, en même temps que Favre avait télégraphié à Gambetta l’armistice général, de Moltke, tout joyeux de la bévue, notifiait à Manteuffel l’exclusion de l’Est. Ordre de continuer les hostilités. Partout les avant-postes se heurtaient à la même réponse, et devant la pointe obstinément poussée des colonnes ennemies, cédaient, jetant les chassepots, levant le pied. Par la passe de Vaux et des Granges-Sainte-Marie, les Allemands, refoulant comme un troupeau les débris du 15e corps, arrivaient au lac de Saint-Point, tranchant ainsi, à quelques kilomètres de Pontarlier, toute possibilité d’évasion, menaçant jusqu’à l’entrée en Suisse. Ils ne savaient plus que faire de leurs prisonniers, encombrés de ce bétail docile. Des centaines préféraient se livrer. Tout était dit.