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d’où elle remonterait donner au Nord la main à Faldherbe, une troisième le pressant d’aller secourir Garibaldi engagé à Dijon, Louis ne put contenir un haussement d’épaules. Ah ! si le délégué, au lieu de gagner des batailles sur la carte, pouvait de ses yeux voir le lamentable état de cette armée dont il réclamait des miracles, il en rabattrait ! Oui, on était dans de fichus draps… Pas assez de vivres, déclarait l’intendant, pour tenir ici plus de sept jours. Et Manteuffel forçait de vitesse ; en s’emparant de Mouchard et de Quingey, où la division d’Astugue laissait huit cents prisonniers, il avait intercepté au Sud la ligne de Lyon. Werder bouchait toute possibilité de retour au Nord, en occupant sans coup férir Blamont, puis l’imprenable Lomont, évacué, sur un ordre malheureux, par le 24er corps, avec une précipitation telle que la division Commagny filait jusqu’à Pontarlier. En ce moment même, un conseil de guerre réunissait au Château-Farine Bourbaki et ses généraux. Que décideraient-ils ? Si l’on reculait devant une offensive qui eût permis d’atteindre la Saône, vers Auxonne, il ne restait, pour gagner la France, Lyon, éviter la ruine sous Besançon ou le refoulement en Suisse, que deux routes, l’une par Champagnole, l’autre par Pontarlier et Mouthe. De toute façon, pas une minute à perdre. Au Nord, poussant les bataillons de Werder, à l’Ouest et au Sud, avançant sans relâche, Manteuffel amassait les nuées d’orage prêtes à crever. Le cercle de l’horizon était noir. Déjà de toutes parts, aux avant-postes, on entendait le tonnerre. Après-demain, demain, la foudre tomberait.

Les lampes étaient allumées depuis longtemps quand un officier d’ordonnance apporta une dépêche. Bourbaki, rentré du Château-Farine, annonçait que les commandans de corps d’armée étaient d’avis de battre en retraite sur Pontarlier. Trois divisions allaient couvrir le mouvement. L’armée n’en pouvait plus ; lui même ne savait vraiment que faire ! Commander dans ces conditions était un martyre. Pourquoi ne pas le remplacer par Billot ou Clinchant ?…

Le général, depuis le combat d’Arcey, était sombre, irritable, empli d’un dégoût qui achevait de paralyser en lui toute initiative ; la réception des derniers télégrammes avait enfiellé son amertume. On semblait méconnaître les difficultés inouïes au milieu desquelles il se débattait. On n’avait tenu aucune promesse ; Garibaldi, qui devait le couvrir, n’avait pas même retardé