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instructions générales le devoir de la signer. » Et, pour commencer, il ne craignait pas d’apposer, le 19 février (le jour même de l’élection du régent), sa signature à un long protocole rédigé en forme de décision doctrinale de droit public, établissant que, si la Belgique avait été autorisée à modifier sa constitution intérieure, cette autorisation n’allait pas jusqu’à lui donner le droit de faire de véritables conquêtes sur les propriétés de ses voisins, et qu’en conséquence, les bases de séparation posées dans la déclaration d’indépendance étaient immuables. Le protocole fut bien transmis à Paris par Talleyrand, mais il arriva au milieu d’une crise intérieure que j’aurai à raconter et qui ne permit pas d’y faire une réponse sérieuse ; la suite fera voir qu’on se le tint pour dit et qu’on ne parla plus à Talleyrand de soumettre chacune de ses résolutions à une approbation préalable.

Il écrivait à la même date à son amie Mme de Vaudemont : « Il est possible que je voie les choses de trop haut, puisqu’on le dit, mais il n’y a moyen de s’établir bien qu’en se tenant dans les régions élevées… La Belgique nous vient nécessairement, la force des choses l’amène à la France, mais il faut faire la France, et la France ne peut se faire bien et sûrement qu’en se mêlant aux grandes puissances qui aujourd’hui la réclament. Voilà où j’ai mené les choses : ne quittons pas cette position[1]. » Et ailleurs il disait : « Unie aux puissances, la royauté est l’héritière de saint Louis. Faites la guerre : elle date d’hier. »

Faire la France, c’était une expression pleine de force et de finesse ; mais Talleyrand avait trop d’expérience pour croire qu’une nation puisse être faite ou refaite uniquement par la sagesse d’un ambassadeur. À cette œuvre patriotique il fallait que de l’intérieur même du pays vînt se joindre le concours d’une activité énergique. La France ne devait pas avoir longtemps à l’attendre.


Duc DE BROGLIE.

  1. Talleyrand à Mme de Vaudemont, 5 mars 1831.