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cité en fermentation, commencèrent à réfléchir que, n’ayant en définitive d’autre appui sincère que la France, la Belgique n’avait rien à gagner à engager sa seule amie dans une aventure qui ne serait que la préface d’une plus grosse où France et Belgique pourraient périr ensemble. Aussi, peut-être sans s’en rendre bien compte, quand ils arrivèrent le 17 février, jour enfin fixé, au Palais-Royal pour l’audience, ils étaient préparés, presque résignés au langage qu’ils allaient entendre.

Présent, je ne sais par quelle occasion, à cette audience solennelle, M. Guizot en a fait un de ces récits pleins de finesse qui donnent un intérêt si piquant à ses Mémoires. Il peint à merveille le combat de sentimens qu’on pouvait lire sur le visage du roi, pendant sa réponse, et qui perça dans son langage : l’orgueil satisfait de l’honneur qui lui était rendu, mais le devoir patriotique l’emportant, non sans regret, sur la complaisance paternelle. Il aurait pu peut-être faire remarquer aussi avec quel art, remettant les deux États dans la vérité de leur situation réciproque, le roi sut donner à son refus d’abord, puis à ses avis, un ton d’affection et d’autorité paternelle et faire entendre à la Belgique que, ne pouvant se passer dans les épreuves de sa vie naissante du concours et de l’appui de la France, elle n’avait, pour y compter et en être sûre, ni gages à demander ni conditions à faire.

« Je suis profondément touché, disait-il, que mon dévouement constant à ma patrie vous ait inspiré le désir que vous m’exprimez et je m’enorgueillirai toujours qu’un de mes fils ait été l’objet de votre choix. Si je n’écoutais que le penchant de mon cœur et ma disposition bien sincère à déférer au vœu d’un peuple dont la paix et la prospérité me sont également chères et importent à la France, je m’y rendrais avec empressement. Mais, quels que soient mes regrets, quelle que soit l’amertume que j’éprouve, la rigueur des devoirs que j’ai à remplir m’impose la pénible obligation de déclarer que je n’accepte pas pour mon fils la couronne que vous êtes chargés de lui offrir. Mon premier devoir est de consulter les intérêts de la France, et par conséquent de ne pas compromettre cette paix que j’espère conserver pour son bonheur, pour celui de la Belgique, et pour celui de tous les États d’Europe, à qui elle est si nécessaire… Que la Belgique, ajoutait-il en finissant, soit libre et heureuse ! qu’elle n’oublie pas que c’est au concert de la France avec les grandes puissances d’Europe qu’elle a dû la prompte reconnaissance de son indépendance nationale ! qu’elle