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serment de fidélité. Ils partirent dans la conviction qu’un plein consentement était d’avance acquis à leur démarche.

Quant à M. Bresson, entouré de complimenteurs enthousiastes, il recevait publiquement les félicitations pour lui-même et pour son gouvernement. « Obligé, écrivait-il à Talleyrand, de changer notre position et de nous engager dans une lutte que nous voulions éviter, il fallait vaincre et nous avons vaincu. Je ne pourrais vous peindre avec trop de force l’effet que produirait, silice pays, un refus ou seulement une acceptation conditionnelle de Sa Majesté ; ce serait instantanément le bouleversement de toutes choses : la guerre civile, la cocarde orange et la cocarde tricolore, le désordre, l’émeute, l’anarchie et toutes leurs fureurs. Nous ne pouvons plus regarder en arrière, mon prince, un mouvement rétrograde serait mille fois plus dangereux qu’une, attitude hère et décisive[1]. »

A Londres cependant, l’émotion, l’irritation même furent grandes quand on apprit d’abord l’attitude inattendue de M. Bresson, puis le refus opposé par la France à une décision de la Conférence, enfin et surtout l’éclat donné à cette abstention. On peut voir, par la correspondance toujours intime et régulière de la princesse de Lieven avec lord Grey, quel parti les ennemis de la France et ceux du ministère libéral s’apprêtaient à tirer de cette volte-face imprévue. « Vous êtes dupe, on s’est joué de vous, » écrivait, avec un accent de triomphe, l’ambassadrice de Nicolas au ministre interdit qui se voyait menacé d’un orage parlementaire devant lequel il ferait pauvre figure. Palmerston se vantait, tout haut de s’être toujours méfié. « Il y a, disait-il, dans le cabinet d’un ministre des Affaires étrangères français une maladie infectieuse à laquelle aucun ne peut échapper. » Quant à Talleyrand, vers qui tout ce monde politique effaré se retournait, bien qu’il partageât la surprise générale et s’en expliquât assez vertement avec Sébastiani, il ne perdit cependant pas un seul instant contenance, répondant tranquillement à toutes les questions dont il était assailli que rien ne l’autorisait à mettre en doute aucune des assurances dont il était chargé de faire part. Chacun sentit pourtant qu’il était temps de mettre un terme à l’incertitude, et, devant cette nécessité qui faisait taire toutes les préventions, la Conférence, précipitamment réunie, rédigea

  1. Bresson à Talleyrand, 5 février 1831.