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encore fraîche, et qui se succédaient plus rapidement que nous ne pouvions mettre de hâte à les transcrire. Si ces lettres pleines de vie sont un jour publiées, elles prendront place avec honneur dans la série des correspondances qu’une recherche curieuse, libéralement autorisée aujourd’hui, tire de nos archives et qui forment certainement, indépendamment de leur valeur historique, une des branches les plus originales de notre littérature : elles y figureront avec d’autant plus d’avantage que ce sera probablement un des derniers exemplaires d’un genre qui ne se renouvellera plus ; la concision et la rapidité des messages télégraphiques ôtant aujourd’hui presque tout intérêt aux tardives communications de la poste, au point qu’on se décourage naturellement du soin de les bien préparer.

À ces qualités, qui sont les principales de la profession dont M. Bresson devait à juste titre être appelé à remplir les premiers postes, il en joignait une autre qui y paraît moins naturellement appropriée. Tandis que la tradition du métier est d’observer longtemps avant d’agir et de tendre au résultat qu’on veut obtenir par la voie discrète et patiente des conseils plutôt que par des coups d’autorité, M. Bresson avait, au contraire, au plus haut point le goût de l’action, je dirais volontiers du combat. Rien ne lui plaisait autant qu’une difficulté à emporter, une lutte à soutenir, un adversaire à combattre. Il aimait les partis décisifs et, fussent-elles même un peu risquées, les résolutions hardies. Ses allures étaient militaires. Dans ce diplomate il y avait un soldat qui ne craignait pas les occasions de faire voir qu’il était digne d’être capitaine.

On peut juger, dès lors, quelle gêne, c’est trop peu dire, quel supplice imposait à un tel caractère la politique ingrate à laquelle sa consigne l’attachait. Dans la fermentation qui régnait autour de lui, vivant au milieu d’une population qui réclamait à haute voix le droit de choisir son maître et justement impatiente au moins d’en avoir un, n’avoir ni direction, ni même d’avis à donner, ne lui faire apercevoir aucune issue à l’impasse où, par une suite de refus combinés, on la condamnait à rester, rien ne devait lui répugner davantage. Aussi ses lettres, où je retrouve l’homme que j’ai connu, sont-elles frémissantes d’impatience. C’est un cheval de sang qui mord son frein, frappe du pied une barrière que, d’un bond, il voudrait sauter. Il n’est point de malheur auquel il ne s’attende, si on le force à prolonger cette inaction. Un jour, c’est la nomination de Leuchtenberg qui sera