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de familles royales, qui, pour couvrir leurs prétentions d’amour-propre ou d’ambition, ont toujours à leur service un motif ou un prétexte d’intérêt public ou national à invoquer. L’Europe venait de faire tout récemment cette épreuve et n’en était pas heureusement sortie. La Grèce, affranchie et ressuscitée, attendait encore le chef qu’on lui avait promis et qu’on cherchait en vain, faute d’avoir pu se mettre d’accord pour le désigner. La Belgique imposait une tâche plus difficile encore à remplir, car il était plus important de savoir entre quelles mains on mettrait un pays situé dans le voisinage de toutes les puissances et l’un des centres principaux des intérêts qui leur étaient communs.

L’Angleterre essaya bien cette fois encore de prendre tout de suite son parti, et, comme elle l’avait fait en 1814, de l’imposer à tout le monde. L’agent anglais à Bruxelles, lord Ponsonby, beau-frère de lord Grey, ami personnel de lord Palmerston, reçut pour instruction de ressusciter la candidature déjà essayée et avortée du prince d’Orange ; il s’efforça de grouper autour de lui les partisans, encore assez nombreux, disait-on, de la maison de Nassau. Le prince lui-même rédigea un manifeste conciliant qui fut répandu à profusion. On fit miroiter l’espérance que le roi Guillaume céderait volontiers le grand-duché de Luxembourg à son fils, qui prendrait sa place ainsi naturellement et sans conflit dans la Confédération germanique. Mais ces prédications demeurèrent sans écho. La force seule aurait pu imposer au Congrès l’humiliation de révoquer une décision déjà prise, et, la force, l’Angleterre n’était ni en mesure, ni en humeur de l’employer. Un mot prononcé incidemment par un orangiste honteux dans le sens d’une restauration hollandaise fit éclater une telle explosion de colère sur tous les bancs du Congrès que personne n’osa en faire une proposition sérieuse. Ponsonby dut donc prudemment carguer ses voiles et prendre une attitude expectante ; on lui recommanda seulement d’empêcher qu’aucun choix fût fait dont une autre puissance pût se prévaloir.

Cette puissance à surveiller, on n’avait pas besoin de la nommer, c’était la France ; car, une fois l’Angleterre se tenant en dehors de la partie, la France restait seule chargée de résoudre le problème à peu près insoluble, de contenter l’orgueil surexcité des Belges, sans réveiller les rivalités qui tenaient depuis des siècles les yeux attachés sur ce point du territoire européen. Il fallut donc passer en revue les almanachs princiers de toutes les cours,