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dans la position équivoque du ministère Laffitte, de jour en jour plus embarrassant. Tenu en main, on peut même dire en bride par le roi, et trop sensé lui-même pour ne pas approuver la ligne pacifique qui lui était tracée, il avait affaire à des attaques parties des rangs avec lesquels le cabinet et son chef ne voulaient pas se mettre en rupture déclarée. Dans le cours du seul mois de janvier, il n’eut pas à affronter moins de deux grandes discussions sur la politique extérieure, à propos de pétitions ou d’interpellations, où non seulement la conduite, mais l’existence même de la Conférence de Londres fut critiquée avec une vivacité égale, bien que de points de vue différens. Un vieux militaire, le général Lamarque, parlant avec l’emphase déjà un peu surannée des temps révolutionnaires, ne voyait, au nom des traditions impériales et républicaines, qu’une voie à suivre, c’était de proclamer tout de suite l’annexion de la Belgique, l’Europe entière dût-elle y opposer un défi qu’on ne serait pas, assurait-il, en peine de relever ; et sa voix rencontrait certainement beaucoup d’écho, sinon au parlement, au moins dans une partie notable du public. Venait ensuite un avocat à la faconde captieuse et passionnée, Mauguin, aussi célèbre alors qu’il est oublié aujourd’hui, et qui accusait la Conférence de n’être que la reproduction et l’héritière des Congrès de Vienne et de la Sainte-Alliance. Enfin Lafayette lui-même entrait en scène d’un ton plus modéré, mais dans des intentions aussi hostiles, protestant surtout contre la prétention de dicter aux Belges soit la forme de gouvernement, soit le choix du souverain qui devait les régir. La partie, ainsi engagée par tant d’adversaires à la fois, était difficile à soutenir pour un esprit judicieux, mais court, comme celui de Sébastiani, nullement préparé aux joutes parlementaires. Sa parole était lente et pénible, et un fort accent corse, des locutions plus italiennes que françaises n’étaient pas propres à en relever l’effet.

D’ailleurs, la haine des traités de 1815 étant le terrain commun sur lequel s’étaient rencontrés et unis les anciens serviteurs de l’Empire et l’opposition libérale pendant la Restauration, il avait sur la conscience bien des invectives patriotiques dont il craignait toujours qu’on ne lui rappelât le texte pour l’embarrasser. Au fond de l’âme, peut-être éprouvait-il aussi quelque ennui à combattre des sentimens dont il avait recherché et goûté la popularité, et qui étaient plus répandus et plus frémissans que jamais dans toute une partie ardente et animée de la nation. Sa défense