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man : malheureusement, leurs troupes les abandonnent de plus en plus. L’impérialisme, depuis son introduction dans les affaires anglaises, a opéré à la manière de ces agens chimiques, énergiques et puissans, qui dissolvent toutes les agrégations antérieures pour en composer de nouvelles. Le parti libéral n’a pas résisté à son action ; mais le parti conservateur ne l’a pas fait davantage. Ce n’est pas une évolution qu’il subit, c’est une transformation, ou une déformation intime et profonde, dont on peut mesurer le progrès en passant, comme il est passé lui-même, de lord Salisbury à M. Chamberlain. Qu’y a-t-il de plus différent que ces deux hommes, l’un, grand seigneur de vieille race, d’un esprit très cultivé, et, malgré ses défaillances, d’une incontestable élévation de sentimens ; l’autre, fils de ses œuvres, parti d’assez bas, intelligent, actif, sans scrupule, et portant dans tous ses traits les caractères du parvenu, sans en excepter l’arrogance ? Quelle distance de l’un à l’autre ! Cette distance, le parti conservateur l’a franchie sur le pont de l’impérialisme. Qu’on l’avoue ou qu’on le conteste, l’homme important du parti est M. Chamberlain. Tous les yeux se tournent de son côté. Lui seul provoque dans les masses populaires des mouvemens qui ressemblent à de l’enthousiasme, et qui en sont en effet. Les popularités de ce genre sont parfois aussi éphémères qu’elles sont malsaines ; mais, aussi longtemps qu’elles durent, l’homme qui en est l’objet peut tout se permettre. L’opinion lui est systématiquement indulgente, ou plutôt elle est aveugle à son égard : elle ne voit pas ce qu’elle ne veut pas voir. Pendant la campagne électorale, on a découvert contre M. Chamberlain des faits qui dans un autre pays, et en tout cas dans le nôtre, auraient porté à un homme politique des atteintes cruelles. Pensez donc que le Panama pèse encore lourdement sur nous ! Tout cela a glissé sur M. Chamberlain comme si la faveur populaire l’avait enveloppé d’une toile cirée. On a pu dire que l’impérialisme, tel qu’il le pratique, était l’utilisation de toutes les forces de l’empire au profit de quelques intérêts privés, définition injuste parce qu’elle est partielle et qu’elle ne dit pas toute la vérité ; mais elle en dit une partie. Rien n’y a fait. M. Chamberlain est sorti de ces attaques le front haut et la lèvre dédaigneuse. Il est aujourd’hui plus puissant que jamais. Ce n’est pas que le sentiment qu’il inspire à ses compatriotes soit tout à fait sans mélange ; il se compose à la fois d’orgueil et d’inquiétude ; mais l’homme est utile, il l’est au moins pour le moment, et on s’en sert. Il est une réserve d’énergie où l’on puise sans rechercher de trop près de quoi elle se compose. Là est sa force. Il représente, en ce moment, mieux que personne les appétits débridés, les rapacités,