Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps de Descartes[1], a été réduite au rôle d’un simple ganglion par les anatomistes du XVIIIe siècle et à celui d’un organe atrophique par les naturalistes contemporains.

Il y a ainsi, en histoire naturelle, un certain nombre d’organes déchus, que les révolutions scientifiques ont précipités du trône. Il y en aurait assez pour remplir l’hôtellerie de Candide à Venise, en temps de carnaval, si jamais Venise eût été un asile pour la physiologie. Et la liste n’est pas close. A la vérité, il y en a quelques-uns qu’une nouvelle révolution a replacés au pinacle, et c’est le cas du foie, restauré par Claude Bernard, et dont la zone d’influence s’étend de jour en jour ; mais il y en a d’autres aussi qui semblaient bien assurés de leur royauté et que les vicissitudes scientifiques ont dépouillés de tout prestige.

La plus récente de ces victimes du mouvement scientifique, c’est l’estomac.


III

Dans la fable des Membres et de l’Estomac, le bon fabuliste La Fontaine a paraphrasé un apologue célèbre dans l’antiquité. Ménénius Agrippa, le vainqueur des Sabins, s’en était servi pour faire rentrer dans le devoir et dans la cité le peuple de Rome, irrité contre les patriciens et retiré sur le mont Sacré. C’était le temps où l’on calmait les grèves avec des fables.

L’estomac était donc, à Rome, l’image de la dignité patricienne. La Fontaine va plus loin ; il en fait, à Paris, l’image de la royauté.

  1. Il n’est pas tout à fait exact que Descartes, comme le lui ont fait dire Sténon, Willis et surtout Voltaire, ait eu l’étrange idée d’asseoir l’âme sur cette petite pomme de pin qu’est la glande pinéale du cerveau, à la façon d’un cocher sur son siège, et de lui faire diriger de là les impulsions de la conscience et incliner ses jugemens dans un sens ou dans l’autre. C’est là une glose de commentateur et une manière de ridiculiser une opinion pour la réfuter plus triomphalement. En réalité, Descartes a vu dans ce petit organe la source des esprits animaux, c’est-à-dire de l’influx nerveux ; ses disciples, Regius. Louis de la Forge, le considéraient comme le point d’arrivée où venaient aboutir, se superposer et se confondre les impressions doubles fournies par les organes des sens des deux moitiés du corps. C’étaient des vues bien hasardeuses. Les adversaires de Descartes ne se contentèrent point de le dire. Ils trouvèrent plus piquant de montrer, par exemple, que ce grand philosophe, qui refusait une âme au bœuf ou à l’âne, aurait dû leur en attribuer une, à moins de se contredire, une plus grande âme même que celle de l’homme, puisque leur glande pinéale est relativement plus développée. Aujourd’hui, l’on sait que la glande pinéale ou épiphyse est le rudiment d’un troisième œil, avorté chez l’homme et la plupart des vertébrés et subsistant seulement chez quelques lézards.