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— De vrais nids d’hirondelles !… Et c’est précisément ce qui nécessite une préparation si soignée… Pour arriver à bien le » épurer, à bien les nettoyer, c’est très long.

— Et les « ailerons de requins » ?

— Très long aussi… C’est tellement dur…

Et vous indiquez d’autres plats, mais ils exigent tous un stage. Ils sont mystérieux, inquiétans, et le maître d’hôtel, tout en époussetant la table avec de petits coups de serviette, conclut pour vous édifier :

— Toutes les cuisines chinoises, en général, sont à base d’œufs de cane pourris, et les œufs doivent pourrir longtemps…

Que décider ? Vous rabattre sur les articles qui n’offrent ni la complication des « nids d’hirondelles, » ni la dureté des « ailerons de requins, » ni le faisandage des « œufs de cane, pourris, » et vous contenter de plats qui ne soient pas des plats de longue haleine ?… Vous y songez… Mais les « œufs de cane pourris » vous obsèdent, il vous semble que toute la cuisine céleste doit les sentir, et vous finissez par commander, comme déjeuner chinois, une côtelette ou un beefsteak. On vous les sert immédiatement, vous ne voyez même aux tables voisines que des déjeuners chinois dans le goût du vôtre, et vous comprenez alors toute la surprise que vous n’eussiez pas manqué de provoquer en persistant, dans ce restaurant chinois, à vouloir faire un repas chinois.

Pourquoi, d’ailleurs, dans tout ce coin de Chine, tant d’autres choses sont-elles aussi méticuleusement françaises ? Comment, ainsi que l’Allemagne, l’Italie, la Norvège, et d’autres pays, la Chine n’a-t-elle pas expédié de chez elle ses ouvriers et ses matériaux ? C’est une question… Mais rien, en fait, n’est chinois comme travail, dans la Chine du Trocadéro. Les matériaux ? Parisiens. Les ouvriers ? Parisiens. L’architecte ? Parisien. Il n’y a pas là une planche, une moulure, un ornement, un coup de pinceau ou de ciseau, qui ne soient pas uniquement, exclusivement, consciencieusement parisiens, et vous déjeunez, dès lors, pour déjeuner à la chinoise, avec une côtelette de Paris, servie par des garçons de Paris, dans un local construit et décoré avec des matériaux de Paris, par des constructeurs et des décorateurs de Paris ! Si vous ne vous sentez pas, avec tout cela, vraiment transporté dans la vraie Chine, c’est que vous n’avez pas d’imagination !

Rien n’est-il donc chinois dans cette Chine d’exposition ? Si,