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devraient rapporter au moins un kilo par arbre, soit une récolte d’un demi-million de kilos de cacao ; à un franc seulement le kilo, cela ferait cinq cent mille francs. L’installation première est, à la vérité, assez coûteuse, mais les frais d’entretien sont minimes quand une fois la plante devenue vigoureuse et touffue empêche la végétation des mauvaises herbes de se développer à ras du sol et de l’étouffer. On évalue actuellement les frais de nourriture d’un travailleur noir à 15 francs par mois, ses gages sont de 6 à 12 francs ; tous les autres frais se répartissent sur le traitement des agens blancs et de leur nourriture. Mais la différence reste encore très avantageuse entre les frais d’exploitation, de plantation, de transport, etc., et le bénéfice probable d’une pareille entreprise agricole.

Le Gouverneur général avait bien voulu m’engager à monter avec lui à Léopoldville. Je n’eus garde de manquer au rendez-vous, et nous nous embarquâmes à Boma sur l’Hirondelle, petit navire de guerre armé d’un canon pivotant à l’avant et monté par un équipage militaire. Nous remontons le Congo pendant plusieurs heures ; ses rives, après s’être largement déployées, se resserrent peu à peu et prennent un aspect de plus en plus rébarbatif. A un coude brusque du fleuve, il nous faut franchir à toute vapeur le formidable tourbillon appelé « Chaudron d’Enfer ; » nous le traversons sans encombre, et Matadi nous apparaît se reflétant dans l’eau tranquille comme au bord d’un lac. On me montre Noki, sur la rive gauche, qui délimite, en aval, le territoire portugais ; Vivi, sur la rive droite, qui fut la première étape de Stanley lorsqu’il voulut remonter les cataractes. Tout près de là, en amont, les anciens explorateurs ont laissé un monument de leur audace déconcertée devant cette barrière de montagnes et de cascades : c’est une inscription gravée sur la roche même, au niveau des eaux. Précisément, au moment de mon passage, elle venait d’être en partie dégagée de la mousse dont elle était couverte. On y reconnaissait distinctement les armes de Portugal, avec une grande croix et des lettres en vieux portugais ; les premiers mots seuls déchiffrés signifient : « Nous sommes arrivés jusqu’ici avec nos navires par mandat de la Cour de S. M. Dom Jâo de Portugal. » En effet, en 1484, Diego Cam fut envoyé à la découverte dans ces parages par le roi Jean II, et il prit possession de l’embouchure du Congo en y plaçant des pierres commémoratives qui existent encore. Mais, les cataractes du fleuve lui ayant paru