Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de constructions, je vis tout à coup un noir s’approcher de moi, exécuter le salut militaire, puis un demi-tour à droite et, enlevant prestement son pagne, se baisser pour me montrer au bas du dos une légère éraflure causée par l’application violente d’un soulier européen sur sa peau d’ébène. Ayant compris cette démonstration muette et énergique, j’amenai le plaignant au Gouverneur. Légalement, la violence du blanc devait être punie ; je me demandais cependant si l’indigène en général, très digne de protection dans sa vie et ses biens, doit être tout à fait traité comme le blanc dans les infractions de la vie journalière. La question se pose d’autant plus aisément que le Gouvernement exige une application sévère de la loi dans tous les cas de sévices graves contre les noirs. Une commission pour la protection des indigènes, choisie parmi les membres d’associations philanthropiques et religieuses, signale à l’autorité locale les actes de violence dont les naturels seraient victimes, et le Roi Souverain a donné l’ordre de ne plus même lui transmettre les demandes en grâce, quand il s’agit de cette espèce de condamnations.

Les questions d’état-civil sont bien plus vagues encore que celles de justice. Je lis, dans les publications de mariage affichées au Palais de Justice, les noms bizarres des conjoints auxquels il faut se contenter d’attribuer un âge de visu. L’autorité favorise les mariages, et les soldats surtout se prêtent volontiers à cette formalité. Ils sont ainsi assurés d’emmener partout où on les envoie la femme de leur choix sans devoir se mettre en peine de s’en procurer une ; mais, une fois mariés, beaucoup se figurent que ce papier qui les lie sera aussi facilement rendu pour les délier ; cependant, si le divorce existe en principe, il n’y a vraiment pas moyen de recommencer à tout propos des procédures sans fin. Les conjoints sont tenus de déclarer naissances et décès à l’état civil : c’est un début de registres, mais qu’est-ce que cela représente encore sur cette population dont on ignore même à quelle dizaine de millions elle s’élève ?

Nous visitons la prison, maison en fer, partagée en cellules et en chambres communes. Tous les blancs qui ont des pénalités graves à purger y sont amenés des districts même éloignés ; les cellules sont convenables, et on n’en pourrait même critiquer que le confort, comparé au logement de beaucoup d’agens de l’Etat. Il a même fallu réagir naguère contre une tendance qui, d’une détention pénale, eût risqué de faire une espèce de villégiature.