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Tout cela, c’est la practical basis ; c’est la forme ou le style. Mais l’idée ou le sentiment, la poetical basis, cela aussi a changé. La variété même introduite par Beethoven dans le nombre et dans l’ordre des morceaux me paraît significative. Elle atteste une connaissance de la vie plus étendue et plus profonde. Beethoven sait qu’il est des âmes héroïques et toujours victorieuses. Pour celles-là, qui ressemblent à la sienne, il écrit ses finales triomphans. Mais il y a des âmes plus faibles ; il y en a de plus heureuses ou de plus épargnées ; accordant alors son génie avec leur facile destin, Beethoven leur consacre d’aimables menuets et des rondos mélodieux. Si votre jeunesse fut sans joie, la sonate en ut dièze mineur, douloureuse dès le commencement, est pour vous ; elle est vous. Le sort vous a-t-il frappé soudain, lisez le début de la Pathétique ou de l’op. 111 : vous y reconnaîtrez la brutalité de ses coups. Enfin, il n’est pas jusqu’aux dernières sonates qui, s’achevant par d’immenses fugues, par des variations splendides, ne nous invitent à finir comme elles dans la contemplation sereine, dans l’amour des lois éternelles et de l’ordre souverain.

M. Shedlock a bien senti qu’à propos de Beethoven plus que d’aucun autre, la question de la poetical basis devait être posée et résolue. « Un grand nombre, dit-il, et même probablement le plus grand nombre des sonates de Beethoven sont fondées sur cette base-là. » En d’autres termes, il est certain que, pour un Beethoven, la musique et sa musique en particulier, n’était pas la musique seule, la musique, en soi. Elle était expression et signe ; elle était, suivant une heureuse définition, le rapport entre le son et l’âme. Mais ce rapport, nous le disions plus haut, n’est pas toujours facile à définir. Autant que de ne pas l’admettre, il faut craindre de l’exagérer et de le comprendre mal.

On sait assez bien, et par de nombreux documens, comment Beethoven l’a compris. Dans la biographie de son maître, Schindler rapporte que « dès 1816, Hoffmeister ayant proposé à Beethoven de faire une nouvelle édition de sa musique pour piano, le maître avait eu l’intention d’indiquer l’idée poétique, poetische Idee, servant de sujet ou de base à ses différentes compositions. » Cette expression, ajoute le biographe, est du temps ; Beethoven l’employait souvent, comme d’autres se servent de cette autre expression « le contenu poétique, » par opposition avec des œuvres ne consistant que dans le jeu des rythmes et des harmonies.