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rapidité (ce dont personne ne peut venir à bout, pas même démenti), elle aura exécuté un affreux canotage et rien de plus[1]. »

Le jugement est sévère, mais plus d’un motif en pourrait expliquer la rigueur. Mozart l’a fondé sans doute sur une sonate, — une seule et des moindres, — que joua Clémenti lors du fameux concours institué par l’empereur Joseph II entre les deux maîtres. Mozart en outre avait beaucoup à craindre et même à souffrir de l’influence italienne à la cour impériale. Enfin il estimait peu le « mécanisme » ou la virtuosité pure et l’auteur du Gradus ad Parnassum fut surtout un virtuose, un maitre dans la pratique et la technique du clavier. M. Shedlock, qui le défend et même le vante, a très bien dit, en termes qu’on traduirait mal, que souvent chez démenti, « virtuosily gained the ascendency over virtue. » Souvent, mais non pas toujours, et lorsqu’il y met, lorsqu’il y engage non plus seulement ses doigts, mais son cœur, la musique de Clémenti possède quelque mérite, ou quelque vertu.

Comme dit l’historien anglais, parlant de certaines sonates avant Beethoven, « they sound Beethovenish, » cela sonne le Beethoven. Ainsi voilà le son dont l’approche avant Beethoven et dont la persistance après lui fait la beauté de toute sonate pour piano. Voilà le diapason où tant de musique se rapporte. C’est le « sérieux » de Beethoven qu’on peut admirer dans les trois dernières sonates d’un Dussek ; c’est la grandeur de Beethoven, et sa douleur, dont vous trouverez dans l’œuvre d’un Rust l’étrange et tragique pressentiment. De ce génie ignoré, je ne veux point parler davantage. Je vous laisse et je vous envie, l’ayant ressentie moi-même, la joie de le découvrir. Lisez les pages que lui consacre M. Shedlock, et vous saurez les circonstances de sa vie, les noms et les dates de ses œuvres. Mais lisez les quelques mesures que M. Shedlock cite de lui, et vous connaîtrez son âme. En 1794, un des fils de Rust se noya. Matthison, le poète de l’Adélaïde de Beethoven, ayant adressé au malheureux père une élégie intitulée : Couronne funèbre pour un enfant, l’artiste s’en inspira. De sa douleur il fit de la beauté. Il écrivit une sonate dont la seconde partie s’appelle Wehklage (Lamento). M. Shedlock en a transcrit la fin. La voilà, la musique qui n’est pas « virtuosité, » mais « vertu. » Vertu, c’est-à-dire force : une force que

  1. Lettre du 7 juin 1783.