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à la chapelle de la cour. Mais ne l’ayant pas obtenu, il résolut de partir. La scène des adieux est d’une grâce et d’une mélancolie tout allemandes. C’est à la maman, à la « Hausfrau » que Mozart parla d’abord. « Comment, s’écria-t-elle, c’est donc une affaire manquée ! » Là-dessus j’e lui racontai tout… Lorsque Mlle Rose, qui était éloignée de nous de trois chambres et qui s’occupait alors du linge, eut fini, elle entra et me dit : « Vous conviendrait-il maintenant ? » Car c’était l’heure de la leçon. « Je suis à vos ordres, répondis-je. — Aujourd’hui, reprit-elle, il faut que nous étudiions bien raisonnablement. — Je crois bien, répliquai-je, car cela ne durera plus longtemps. — Comment cela ? Pourquoi ? » Elle alla vers sa mère, qui lui dit la chose. « Comment, reprit-elle, c’est certain ! Je n’en crois rien. — Oh ! oui, c’est certain, dis-je. » Là-dessus elle se mit, toute sérieuse, à jouer ma sonate. Je n’ai pu retenir mes larmes. Alors des larmes vinrent aux yeux de la mère, de la fille, et de M. Schatzmeister, car elle jouait justement ma sonate et c’est elle qui est la favorite de toute la maison. « Ecoutez, dit M. Schatzmeister, si M. le maître de chapelle s’en va (on ne m’appelle pas autrement ici), il va nous faire tous pleurer. »

« M. le maître de chapelle » ne s’en alla pas tout de suite. Il s’en alla pourtant et de part et d’autre sans doute on pleura. Trois ans plus tard, à Munich, où l’on représentait son Idoménée, Mozart retrouva Mme et Mlle Cannabich. Mais il ne les retrouva pas les mêmes. « Maintenant, écrit-il le 16 décembre 1780, maintenant et bien vite, de peur de l’oublier encore : les cous de Mme et de Mlle Cannabich commencent à devenir de plus en plus gros, à cause de l’air et de l’eau d’ici. Cela pourrait bien finir par tourner au goître. Dieu nous assiste ! Elles prennent bien une certaine poudre, que sais-je ? Ce n’est pas ce nom-là, mais cela ne réussit pourtant pas à leur contentement. Aussi j’ai pris la liberté de recommander les pilules anti-goîtreuses… Si on peut les préparer ici, je vous prie de m’envoyer la recette, mais s’il faut qu’elles soient fabriquées chez nous, je vous prie de m’en adresser ici, contre argent comptant, quelques quintaux par la prochaine diligence. » — Voilà ce qu’était devenu l’exquis modèle de la sonate exquise. Voilà ce que peu de temps avait fait de celle dont les quinze ans avaient inspiré les vingt ans de Mozart !

Lisez maintenant la sonate en la mineur. Mais, en la lisant, oubliez cette dernière lettre et ne vous souvenez que des