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c’est indiqué. Elle est très habile et apprend très facilement. Sa main droite est très bonne, mais la gauche est malheureusement tout à fait gâtée. Je puis dire que j’ai souvent grande compassion d’elle, quand je la vois se donner tant de peine qu’elle en est toute haletante. Ce n’est pas maladresse, mais parce qu’elle ne peut plus faire autrement. On le lui a ainsi enseigné et l’habitude est déjà invétérée. » Suivent quelques conseils utiles pour la correction des mauvaises mains gauches, et dont les élèves, et même les maîtres, pourront profiter. « Aussi, continue le jeune professeur de piano, j’ai dit à sa mère et à elle-même, que, si j’étais maintenant son maître en titre, j’enfermerais tous ses morceaux de musique, je couvrirais le clavier d’un mouchoir et je lui ferais faire uniquement des traits, des trilles, des mordans, etc., de la main droite et de la main gauche, d’abord très lentement, et cela jusqu’à ce que les défauts de sa main fussent complètement corrigés. Et ensuite j’ai la confiance que j’en ferais une bonne pianiste. »

Cette confiance ne tarda guère à se justifier. Un mois après, Mozart écrivait ce qui suit. Au ton surpris et charmé de sa lettre, aux détails qu’il donne et se plaît à donner sur sa petite élève, on croirait qu’il parle d’elle pour la première fois et qu’elle vient de se révéler à lui. « Sa fille (la fille de Cannabich), qui a quinze ans et qui est l’aînée de ses enfans, est une très belle et gentille jeune fille ; elle a beaucoup de raison et est très posée pour son âge ; elle est sérieuse, parle peu, mais quand elle le fait, c’est avec grâce et cordialité. Hier elle m’a fait de nouveau un très inexprimable plaisir en me jouant ma sonate dans la perfection. Elle joue l’andante (qui ne doit pas aller vite) avec tout le sentiment possible et elle le joue avec plaisir. Vous savez que dès le second jour que j’étais ici j’avais terminé l’allegro, par conséquent n’ayant encore vu qu’une seule fois Mlle Cannabich. Le jeune Danner me demanda alors comment je comptais faire l’andante. « Je veux le composer tout à fait d’après le caractère de Mlle Rose. » Quand je le jouai, il plut extrêmement. Le jeune Danner raconta alors ce que j’avais dit. C’est la vérité ; tel est l’andante, telle est Mlle Cannabich. » Et le lendemain Mozart, qui décidément ne pense plus qu’à son élève, ajoute ce post-scriptum : « A propos, il faut que je rectifie quelque chose : j’ai écrit hier que Mlle C… a quinze ans ; mais elle n’en a que treize et vient d’entrer dans sa quatorzième année. »

Mozart attendit quelque temps près de ses amis un engagement