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sonore et purement technique ou « pratique » de l’œuvre musicale. La poetical basis, c’est le sentiment ou la sensibilité, l’état d’esprit, et d’âme surtout, qui s’exprime dans cette forme, qui la comporte et pour ainsi dire la commande et la produit. De l’un à l’autre élément, le rapport est quelquefois difficile à saisir. Il n’a rien d’absolu ni de fixe. Avec les époques et les écoles, il se relâche ou se resserre. Il existe pourtant, il est l’objet principal de l’esthétique, étant l’unique objet et pour ainsi dire l’essence même de l’art, avec lequel on pourrait soutenir qu’il se confond. Mais, encore une fois, autant il est mystérieux, autant il est variable, et, de Kuhnau, par exemple, à Philippe-Emmanuel Bach, à Mozart, plus encore et surtout à Beethoven, il s’est entièrement renouvelé. Tandis que le musicien des « Sonates bibliques » cherche des sujets à l’extérieur, parmi les spectacles et les faits, le Mozart de la sonate en la mineur se propose de peindre une personne ; si le mot ne prêtait à l’équivoque, nous dirions une personne morale, en d’autres termes, un caractère, une âme enfin. Les « Sonates bibliques » étaient des tableaux d’histoire ; la sonate en la mineur est un portrait : celui d’une jeune fille, presque d’une enfant.

En 1777-1778, Mozart passa l’hiver à Mannheim. Il avait vingt et un ans. La maison qu’il fréquentait le plus était celle du maître de chapelle Cannabich. Nous savons par ses lettres combien il aimait cette famille et comme il en était aimé. « Je suis tous les jours chez Cannabich… Il a une fille qui joue très gentiment du piano, et, pour m’en faire tout à fait un ami, je travaille en ce moment, pour mademoiselle sa fille, à une sonate qui est déjà terminée, sauf le rondo. Dès que j’ai eu fini le premier allegro et l’andante, je les lui ai apportés et joués moi-même. Papa ne peut pas se figurer comme cette sonate plaît (4 novembre 1777)[1]. » Quatre jours plus tard : « J’ai écrit chez Cannabich le rondo pour mademoiselle sa fille, et après ils ne m’ont plus laissé partir. » Du 14-16 novembre 1777 : « Je ferai copier le plus tôt possible sur du petit papier la sonate que j’ai composée pour Mlle Cannabich et je l’enverrai à ma sœur. Il y a trois jours que j’ai commencé à l’enseigner à Mlle Rose, et aujourd’hui nous avons terminé le premier allegro. C’est l’andante qui nous donnera le plus de peine, car il est plein de sentiment et doit être joué avec les nuances de forte et de piano exactement comme

  1. Nous empruntons cette citation et celles qui suivent à la traduction des Lettres de Mozart, par M. H. de Curzon, Paris, Hachette.