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sont aussi d’un enfant, mais d’un enfant divin, les premières sonates de Mozart. La dernière est d’un homme, d’un homme qui doute, qui lutte, et qui souffre, d’un homme que Mozart ne fut qu’une seule fois ! Aimons-la donc, cette Fantaisie, pour son humanité douloureuse. Aimons-la pour le signe sombre et sacré qu’elle porte seule. Aucune autre ne commence ainsi, par les notes, enfoncées aussi avant, d’aussi tragiques accords. Sur nulle autre ne tombe et ne retombe, d’une chute incessante, une aussi morne tristesse. « Musique de table, » disait Wagner de la musique de Mozart. Mais à cette table, un jour, on sait quel convive est venu s’asseoir. En vérité ce début n’est pas moins terrible que la fin de Don Juan et les introductions des symphonies de Beethoven n’offrent rien de plus sublime. La grandeur des mélodies n’a d’égale ici que leur abondance. Au lieu de suivre aisément une ou deux idées aimables, Mozart s’attache, s’attaque sans relâche à des thèmes hostiles et rudes. Il insiste, il creuse, il fouille jusqu’au fond de son âme, où jamais il n’était descendu si avant. Et pour une fois, une seule, il la trouve obscure et troublée. Il y rencontre, au lieu de l’évidence, le mystère ; au lieu de la paix, l’inquiétude et presque la révolte. En ces pages étonnantes, les parties lumineuses mêmes demeurent voilées, et des voix d’en haut, qui semblent répondre, ne répondent qu’à demi. A chaque instant renaissent des contradictions et des combats, que rien ne résout ni n’apaise. Parmi les chefs-d’œuvre de Mozart, un tel chef-d’œuvre est une exception, pour ne pas dire une énigme. Les Grecs ne se sont pas trompés quand ils ont vu la musique éternellement partagée entre deux pouvoirs ennemis : celui d’Apollon et celui de Bacchus. Mozart même, le génie apollinien par excellence, a subi le second, ne fût-ce qu’une heure. Son front pur a senti passer un souffle d’orage et Dionysos jaloux a jeté dans un court transport celui qu’Apollon sans doute avait trop aimé.

La Fantaisie et sonate date de 1784-1785. Sept ans auparavant, Mozart en composait une autre, aussi connue et très différente, en la mineur, qui paraît à M. Shedlock « le plus bel effort de Mozart dans le genre de la littérature musicale. » Le mot « effort » n’est pas juste, quand il s’agit de Mozart. Je n’aime pas « littérature musicale ; » et « musique littéraire » ne conviendrait pas mieux. Je préfère la distinction générale, que fait ailleurs M. Shedlock, entre la practical basis et la poetical basis. Cela s’entend et peut se définir. M. Shedlock appelle practical basis la forme, la figure