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de produire des effets merveilleux, mais en certains cas avec le concours de la parole. Elle sait rendre la joie et la tristesse en général (nous dirions aujourd’hui : en soi) ; mais, dès qu’elle cherche le sens individuel et l’expression particulière, aussitôt l’assistance des mots lui devient nécessaire. Kuhnau rappelle à ce propos une sonate qu’il venait d’entendre et qui se nommait la Medica, « la Médecine. » L’auteur y représentait d’abord l’état du malade, l’agitation des parens inquiets et courant chercher le médecin. Mais sous la gigue finale, qui devait figurer la convalescence, il avait, pour plus de sûreté, rédigé ce bulletin écrit : « Le malade va de mieux en mieux, sans être complètement rétabli. »

Kuhnau, lui non plus, ne se fiait pas toujours, nous l’avons dit, à la musique seule. Il a joint des commentaires détaillés à sa « lie-présentation musicale de quelques histoires de la Bible, en six sonates pour piano, destinées au plaisir de tous les amateurs. » La première a pour sujet le combat de David et de Goliath. Un rythme pointé sert de leitmotiv au géant. Un choral figure la prière des Israélites. Un thème pastoral évoque David lui-même et sa jeunesse de berger. Tout est décrit : le défi, la rencontre, l’assistance, le sifflement de la fronde, la chute du monstre et la fuite des Philistins. Pas un détail n’est omis et pas un n’est ridicule, parce que pas un, tout en étant imitatif ou pittoresque, ne cesse d’être musical. Plus musicale encore et surtout moins extérieure, la seconde sonate nous montre Saül guéri de ses fureurs par la harpe de David. Ici, non sans quelque raison, M. Shedlock a pu surprendre, en telle ou telle mélodie, comme un pressentiment de Bach, de Mozart même, que dis-je ? de Beethoven, et du plus grand, celui de la dernière sonate pour piano. La troisième sonate (le mariage de Jacob) débute par une gigue destinée à peindre l’allégresse de Laban et de sa famille en voyant arriver son futur gendre. Le service de sept ans est décrit par une musique laborieuse, mêlée pourtant de quelques relâches agréables (furtives entrevues des fiancés). La maladie et la guérison d’Ezéchias, Gédéon sauveur d’Israël, et le Tombeau de Jacob, tels sont les sujets des trois dernières « Sonates bibliques » de Kuhnau. « Poète-musicien, » disait-il d’un compositeur de son temps. Il eût pu se donner ce titre à lui-même. Il a voulu « créer » par la musique, et par la musique pure, autre chose que la seule musique. Son erreur ou sa faiblesse, celle plutôt de son art, qui ne