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bord d’un marais, c’est l’auberge au détour de la route, c’est le clocher de l’église qui dépasse à peine le toit des maisons ; on devine la rivière derrière le rideau des peupliers. Tous ces tableaux d’un réalisme aimable sont d’un peintre qui se borne à reproduire ce qu’il voit, et s’obstine à faire chanter la gamme des teintes claires et des couleurs gaies, les seules qu’il trouve sur sa palette.

Le peintre joyeux et clair des Émaux bressans, le poète gaulois pareil à l’oisillon de France qui siffle en voletant tout au ras du sol, l’ami des bons compagnons, des bons lurons et des bons biberons, dévot de la dive bouteille célébrée par Rabelais, et du Dieu des bonnes gens inventé par Béranger, on devine comment il dut accueillir certaines modes qui vers 1885 commençaient à sévir en littérature. Les jeunes gens, l’âme en deuil, poussaient de grands soupirs et ne savaient plus dire que leur incurable mélancolie, leur lassitude et leur dégoût de toutes choses. Obscure et prétentieuse, la poésie nouvelle affectait les formes indécises et les tons mourans. Les mots assemblés au hasard, sans suite et sans lien, y donnaient l’impression d’un balbutiement sénile. Cela se décomposait, s’amollissait, se diluait. Gabriel Vicaire répondit par un éclat de rire aux broyeurs de noir et abstracteurs de quintessence. En collaboration avec Henri Beauclair, il publia une mince plaquette dont le succès fut très vif : les Déliquescences, par Adoré Floupette. Bien sûr, c’est au nom de la vieille gaieté française que le joyeux écrivain attaque la poésie nouvelle, et la critique qu’il en fait ne peut manquer d’être étroite. Mais on s’y attendait bien, et tout ce qu’on peut demander à Adoré Floupette, c’est que son ironie soit judicieuse et qu’elle soit amusante. Elle est l’une et l’autre. Elle souligne tous les traits par où l’école décadente prêtait au ridicule : l’affectation de perversité, le goût de la corruption, la recherche des sensations rares, le mélange de niaiserie prétentieuse et de puérilité voulue, l’obscurité du style, les contournemens de la phrase, les étrangetés de la prosodie. Les Déliquescences sont un des chefs-d’œuvre de la parodie. Imitant avec une telle fidélité qu’on pouvait s’y méprendre les auteurs dont il se moquait, Adoré Floupette laissait tout juste errer un sourire au coin de sa lèvre moqueuse. Quelques-uns s’y trompèrent, ce qui pour un parodiste est le triomphe même, et crurent à l’avènement d’une école nouvelle fondée par un certain M. Floupette qui, sur les ruines des écoles décadente, symboliste, instrumentiste, symbolo-instrumentiste et instrumento-symboliste, installait l’école déliquescente.

Ce qui est amusant, c’est que Gabriel Vicaire ne tarda pas à subir