Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie et que l’Angleterre en vive ? Veut-on bien davantage, et que nous avouions qu’il n’est pas jusqu’aux grands mouvemens de réforme, jusqu’aux révolutions, qui n’aient été accomplis en Angleterre pour revendiquer, pour rétablir, pour ressusciter des droits et des libertés prescrites, à telles enseignes qu’on pourrait dire que l’Angleterre n’a fait que des révolutions selon la tradition, des révolutions en arrière ? — Mais alors c’est une raison de plus, et celle-là décisive, de ne point nous lancer aveuglément dans les imitations anglaises.

Radicale, en effet, est la différence, et la contradiction inconciliable, avec les peuples continentaux, et surtout les peuples occidentaux de l’Europe. Ils n’ont fait, eux, que des révolutions contre la tradition, des révolutions en avant. « La Révolution française de 1789 (dont les principes ont plus ou moins pénétré par tout l’Occident), écrit M. le marquis Tanari, dans l’excellente intention de purger la société humaine des maux de l’ancien régime…, s’est plu à traiter son malade par des moyens extrêmes, dignes d’un boucher ou d’un voleur. (Les termes sont sans doute un peu vifs, mais nous n’avons pas à les atténuer.) Elle a, je pense, dépassé son but. En faisant tabula rasa de toutes les institutions qu’elle a trouvées, elle a tué du même coup les traditions historiques de tous les peuples. Pour vivre, ces peuples n’ont désormais d’autre loi que l’opinion et comme remède à ses écarts que des précédens. » Mais l’opinion est actuelle et mouvante, point éprouvée, jamais fixée ; les précédens peuvent être arbitrairement créés, arbitrairement interprétés. L’opinion est impulsive et propulsive à l’extrême, les précédens ne suffisent pas à la régler et à la retenir. Avec des opinions, on ne saisit pas la vérité, ou l’on n’est pas sûr de l’avoir saisie, ou l’on ne sait pas pour combien de temps on l’a saisie ; avec des précédens, on ne refait pas une tradition. « Or, sans tradition, il n’est pas de parlementarisme possible et utile, du moins de parlementarisme à l’anglaise. »

Eh bien ! donc, puisque le parlementarisme à l’anglaise, en vieillissant, s’est déformé en Angleterre même ; puisque, sur le continent, il s’est déformé plus encore, se trouvant subitement déporté hors de ses conditions et de ses circonstances naturelles ; et, bien que le seul qui ait utilement fonctionné depuis deux siècles en Angleterre, puisque, sur le continent, il ne réussit pas à fonctionner utilement ; bien qu’il soit le prototype de tous ceux de l’Europe occidentale, puisqu’aucun ne rend assez fidèlement ses traits ; puisque la Mère des Parlemens n’a pu avoir un enfant qui lui ressemble et que tous ont plus ou moins mal tourné ; voilà « l’ambiguïté » résolue. Il ne faut pas entendre par