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que, n’ayant plus rien à redouter d’elle, on l’aime mieux et on la respecte infiniment ; quoi qu’il en soit, du reste, pouvoir effectif ou puissance morale, la royauté est vraiment le point fixe, et comme l’ancre ou la chaîne de sûreté de la constitution anglaise.

Celui-là aussi nierait l’évidence même qui nierait qu’en Angleterre l’aristocratie jouisse de privilèges remontant à la plus haute antiquité ; mais d’autre part, comment ne pas remarquer que toute l’aristocratie qui en jouit ne remonte pas, elle, — et il s’en faut de beaucoup pour beaucoup de ses membres ! — à l’antiquité la plus haute ? et que peu à peu ces privilèges ou se restreignent ou se partagent ? Les très vieilles familles qui subsistent authentiquement et en ligne directe se comptent, et je crois qu’un curieux, se livrant dernièrement à ce petit calcul, a eu vite fait de les compter ; en compensation, il y a bien des façons nouvelles d’acquérir la pairie, ne fût-ce que par fortune rondement et rapidement faite. Encore que ; par son ancienne fraction héréditaire, la Chambre des lords garde jusqu’à un certain point sa physionomie, quelques lignes pourtant commencent à s’en effacer, et ainsi il y a quelque chose d’ébranlé dans les fondations de l’édifice politique anglais ; le ciment aristocratique, dont il était maçonné, se désagrège ; le facteur temps fait son office. Et nous ne nierons pas non plus qu’en Angleterre ait longtemps régné la règle classique du noble jeu parlementaire, la dualité des partis ; mais, en revanche, qui niera qu’elle soit maintenant elle-même atteinte et ébranlée ? La section n’est plus aussi nette, et entre les deux grands partis historiques, s’en détachant et s’y ralliant tour à tour, tantôt les séparant, et tantôt les rejoignant, bourgeonnent plusieurs petits groupes. Ce sont autant de raisons que nous donne l’Angleterre d’aujourd’hui de ne pas nous entêter à vouloir reproduire chez nous, quand lentement elle fléchit chez elle, l’Angleterre de Guillaume d’Orange ou des premiers Georges.

Après quoi, pour ne pousser rien à l’extrême, nous ne ferons nulle difficulté de reconnaître, comme l’affirme M. le marquis Tanari, que l’Angleterre vit encore de la tradition ; et, prenant des exemples au plus près, il serait aisé de citer la perruque des magistrats, le sac de laine du chancelier, quoi encore ? cet acte du XIIIe ou du XIVe siècle qui fut invoqué naguère lorsque la Reine voulut donner à sa fille, la princesse Béatrice de Battenberg, la capitainerie ouïe gouvernement de l’île de Wight ; et combien, par surcroît, d’autres menus faits semblables ! Seulement qu’on y prennes garde : c’est là une tradition en quelque manière superficielle et extérieure, purement formelle, et qui est plutôt de la survivance que de la vie. Toutefois veut-on que ce soit de la