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cavillation puérile de le vouloir enclore et limiter dedans l’influence et le cours de nature. Et certes tous ceux qui restreignent en de si étroites limites la providence de Dieu, comme s’il laissait toutes créatures aller librement selon le cours de nature, dérobent à Dieu sa gloire, et se privent d’une doctrine qui leur serait fort utile : vu qu’il n’y a rien de plus misérable que l’homme, si ainsi était que les mouvemens naturels du ciel, de l’air, de la terre et des eaux eussent leur cours libre contre lui. Joint qu’en tenant telle opinion, c’est amoindrir trop vilainement la singulière bonté de Dieu envers un chacun. (Opera Calvini, III, 236, 237.)


Et que pense-t-il enfin de cette « liberté » dont la confiance en elle-même et dans son pouvoir se déduisait comme inévitablement de l’excellence ou de la bonté de la nature ? Si nous ne pouvons avoir ici la prétention d’aborder ni d’approfondir un des problèmes les plus ardus de toute l’histoire de la philosophie, nous pouvons rappeler du moins comment Calvin l’a d’ailleurs, lui aussi, tranché plutôt que résolu, dans le sens que l’on sait, et d’ailleurs que lui imposait logiquement sa définition de la Providence :


Que dirons-nous des bons, desquels il est principalement ici question’ ? Quand le Seigneur veut dresser en eux son règne, il refrène et modère leur volonté à ce qu’elle ne soit point ravie par concupiscence désordonnée, selon que son inclination naturelle autrement porte. D’autre part il la fléchit, dirige et conduit à la règle de sa justice afin de lui faire appéter sainteté et innocence. Finalement, il la confirme et fortifie par la vertu de son esprit, à ce qu’elle ne vacille ou déchée. Suivant laquelle raison Saint Augustin répond à telles gens : « Tu me diras : nous sommes donc menés d’ailleurs, et ne faisons rien par notre conduite. Tous les deux sont vrais, que tu es mené et que tu te mènes, et lors tu te conduis bien, si tu te conduis par celui qui est bon. L’esprit de Dieu qui besogne en toi est celui qui aide ceux qui besognent. Ce nom d’adjuteur montre que loi aussi fais quelque chose. » Voilà ses mots ! Or, au premier membre, il signifie que l’opération de l’homme n’est point ôtée par la conduite et mouvement du Saint-Esprit, pour ce que la volonté, qui est duite pour aspirer au bien, est de nature. Quant à ce qu’il ajoute que par le mot d’aide on peut recueillir que nous faisons aussi quelque chose, il ne le faut point tellement prendre, comme s’il nous attribuait je ne sais quoi séparément, et sans la grâce de Dieu : mais, afin de ne point flatter notre nonchalance, il accorde tellement l’opération de Dieu avec la nôtre, que le vouloir soit de nature : vouloir bien soit de grâce. Pourtant, — entendez, c’est pourquoi, — il avait dit auparavant : « Sans que Dieu nous aide, non seulement nous ne pourrons vaincre, mais non pas même combattre » (Opera Calvini, III, 381. )


On le voit : il serait difficile, à chaque pas que fait Calvin en son sens, de s’éloigner davantage et plus résolument de