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nul, et sans reculer devant aucune des conséquences de son principe, n’a opposé plus constamment la doctrine de l’élection, de la grâce, et de la prédestination. Ecoutons-le donc sur tous ces points. Ce sont ici les plus belles pages de l’Institution chrétienne, et Calvin n’est nulle part, à notre avis, ni mieux inspiré, ni surtout plus ressemblant à lui-même :


Il nous faut ici considérer distinctement ces deux choses : c’est à savoir que nous sommes tellement corrompus en toutes les parties de notre nature, que pour cette corruption nous sommes à bonne cause damnables devant Dieu… Les enfans mêmes sont enclos en cette condamnation, non pas simplement pour le péché d’autrui, mais pour le leur propre… L’autre point que nous avons à considérer, c’est que cette perversité n’est jamais oisive en nous, mais engendre continuellement nouveaux fruits, à savoir icelles œuvres de la chair que nous avons naguère décrites, tout ainsi qu’une fournaise ardente sans cesse jette flambe et étincelles, et une source jette son eau… Notre nature n’est pas seulement vide et destituée de tous biens, mais elle est tellement fertile en toute espèce de mal qu’elle ne peut être oisive. Ceux qui l’ont appelée concupiscence n’ont point usé d’un mot trop impertinent, moyennant qu’on ajoutât ce qui n’est concédé de plusieurs, c’est que toutes les parties de l’homme, depuis l’entendement jusques à la volonté, depuis l’âme jusques à la chair sont souillées, et du tout remplies — c’est-à-dire complètement — de cette concupiscence : ou bien, pour le faire plus court, que l’homme n’est autre chose de soi-même que concupiscence. (Opera Calvini, III, 293. )


C’est au moment même, 1535, il est bon de le rappeler, où Rabelais, dans son Gargantua, construisait son « abbaye de Thélème » que Calvin écrivait cette page ; et dirons-nous qu’en l’écrivant il songeât expressément à Rabelais, sur lequel son attention était éveillée depuis déjà deux ans ? Mais son intention générale, en tout cas, n’est pas douteuse, et il ne se soucie pas tant de combattre ici le « Papisme » que le dogme épicurien de la bonté de la nature. Et, à la vérité, le même Rabelais n’a pas encore défini son pantagruélisme, « confit en mépris des choses fortuites, » mais Calvin a certainement lu le traité de Budé : De contemptu rerum fortuitarum ; et pourquoi ne supposerions-nous pas qu’il y répond dans la page suivante ?


Ce serait une maigre fantaisie d’exposer les mots du Prophète selon la doctrine des Philosophes, à savoir que Dieu est le premier motif, parce qu’il est le principe et la cause de tout mouvement : en lieu que plutôt c’est une vraie consolation, de laquelle les fidèles adoucissent leurs douleurs en adversités, à savoir qu’ils ne souffrent rien que ce ne soit par l’ordonnance et le commandement de Dieu, d’autant qu’ils sont sous sa main. Que si le gouvernement de Dieu s’étend ainsi à toutes ses œuvres, c’est une