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tant qu’ils voient que c’est chose dangereuse, ils n’y ont point de cœur. Davantage, il y en a une partie d’eux qui imaginent des idées Platoniques en leurs testes et ainsi excusent la plupart des folles superstitions qui sont en la Papauté, comme choses dont on ne se peut passer. Cette bande est quasi toute de gens de lettres. Non pas que toutes gens de lettres en soient. Car j’aimerais mieux que toutes les sciences humaines fussent exterminées de la terre que si elles étaient cause de refroidir ainsi le zèle des Chrétiens et les détourner de Dieu. Mais il se trouvera beaucoup de gens d’étude, qui s’endorment en cette spéculation : que c’est bien assez qu’ils connaissent Dieu et entendent quel est le droit chemin de salut, et considèrent en leurs cabinets comment les choses doivent aller ; au reste qu’ils recommandent à Dieu en secret d’y mettre remède sans se n’entremesler ni empescher, comme si cela n’était point de leur office. (Opéra J. Calvini, VI, 600.)


Ces gens de lettres étaient nos Rabelais et nos Marot, dont Calvin, en ce temps-là même, se préparait à dénoncer l’un, et venait d’obliger l’autre, exilé déjà de France, à s’exiler de Genève pour avoir joué, dit-on, au trictrac avec Bonnivard ; — et nous commençons à comprendre les raisons de leur attitude en face de Calvin, et qu’elle était exactement la même que celle d’Erasme, et de la plupart des « humanistes, » en face de la Réforme. Aussi longtemps que, l’esprit de la Réforme ne s’étant pas ouvertement déclaré, les humanistes n’ont cru voir en elle qu’une aide pour les émanciper du joug de la scolastique et de l’Eglise, ils lui ont donc été favorables. Mais dès qu’ils ont compris qu’il s’agissait de l’établissement d’une église nouvelle, et que la discipline en serait plus intolérante que celle de l’ancienne, ils n’ont plus vu d’avantage à s’être émancipés d’une servitude pour retomber sous une autre ; — et il est difficile, en ce point, de ne pas leur donner raison. A vrai dire, la Réforme a été la condamnation de l’esprit de la Renaissance, et je ne sais si l’on ne pourrait exprimer la même idée d’une manière plus concrète en disant que rien, dans le catholicisme de leur temps, n’a plus profondément indigné les Luther et les Calvin, — d’une indignation plus sincère, mais plus fanatique aussi, convenons-en, — que l’indulgence dont l’Église couvrait, en feignant de les ignorer, les libertés des Érasme ou des Rabelais, à moins que ce ne soit, dans un autre genre, ce qu’il est permis d’appeler l’élégante sensualité du peintre de la Farnésine, ou des décorateurs de l’école de Fontainebleau. L’horreur de l’art est et devait demeurer un des traits essentiels et caractéristiques de l’esprit de la Réforme, en général, et de la réforme calviniste en particulier.