Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LES
TRONÇONS DU GLAIVE

PREMIÈRE PARTIE


I

Le dimanche 9 octobre 1870, à une heure de l’après-midi, la rue Royale, à Tours, n’était que fourmillement d’affairés et d’oisifs, cohue d’uniformes. Sur le va-et-vient et le stationnement des groupes, planaient une rumeur bourdonnante, un brouhaha de curiosités en éveil. On se pressait aux abords de l’Archevêché. À côté de francs-tireurs bariolés, gesticulans, des officiers et des soldats de toutes armes montraient leurs visages énergiques où s’imprimait l’abattement de la défaite. Les capotes crasseuses, les dolmans usés des échappés de Sedan coudoyaient les tuniques neuves des troupes de dépôt. Les pantalons gris de la mobile, l’incroyable abondance des aiguillettes d’argent et des épaulettes d’or, une floraison empanachée d’états-majors sortis de terre encombraient la chaussée, le trottoir, parmi la multitude des habits civils et des toilettes claires. Des élégantes, préservant leurs robes de soie, des ouvriers en casquette, les fonctionnaires du régime nouveau et les habitans paisibles de la ville, des journalistes en rupture de boulevard, Paris et la Province, toutes les classes de la société, amalgamées dans un vaste et surprenant tohu-bohu.

Charles Réal, l’ingénieur des mines, et son frère Gustave, le