Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/890

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lumière comme un diamant. On ne cherche plus la limpidité, but suprême des verriers d’autrefois, ni la facette, triomphe de ceux d’hier. Le verre n’est plus un transmetteur comme la vitre ni un écho comme le miroir. Il a lui-même quelque chose à dire, et ce quelque chose, c’est la chanson grave ou tendre ou joyeuse de la couleur.

Comme les choses vivantes, l’œuvre de Gallé a ses momens d’exaltation et ses heures de tristesse. Il lui faut le rayon qui la pénètre et qui la transfigure. Ressemblance de plus avec les fleurs de mer. Un matin, j’assistais à la levée des filets jetés par quelques pêcheurs de la Méditerranée entre cette côte et ces îles qui ravissent depuis si longtemps l’imagination des hommes qu’ils appelèrent l’une Costebelle et les autres les Iles d’Or. Les filets ruisselans dans l’air embrasé ne ramenaient guère que de pauvres poissons diaphanes ou d’incomestibles mollusques mal contens d’être sortis de leurs habitudes et dédaignés des pêcheurs qui les laissaient se fondre et s’évaporer au fond des barques ou qui les rejetaient à la mer. Mais ces objets, si pauvres au regard d’un gastronome, étaient le plus beau spectacle pour un œil de peintre. Encore dans l’eau, ce n’était que des choses repoussantes et amorphes : sitôt dehors et traversées par le soleil, c’étaient d’éclatantes fleurs violettes, roses, dorées, nacrées, diamantées, orangées. Toutes les nuances de toutes les espèces cultivées dans les précieux jardins de la Riviera depuis Grasse jusqu’à Bordighera y éclataient, fondues et glacées par le mobile émail des eaux, traversées des dernières palpitations de la vie et des premiers feux du jour. De cette eau, on tirait des flammes !

On en retire de semblables des vitrines de M. Gallé. C’est maintenant vers trois heures que, par un beau soleil d’automne, cette impression vous saisit. Logées dans un coin sombre, leurs silhouettes à demi brouillées par les parois de verre et par les étagères de cristal où elles semblent flotter suspendues dans les eaux, ces grandes fleurs de verre charnues, étranges, aux lèvres demi-closes, paraissent parfois des choses ternes sans organisme, sans volonté. Mais, comme nous tirâmes les méduses de la mer, tirez ces verres hors de la vitrine, exposez-les de façon que le soleil en s’en allant les touche de son rayon frisant et presque horizontal. Alors tout s’anime, tout s’approfondit, tout vibre, et ces fleurs que le feu a faites restituent à l’œil du verrier toutes les flammes qu’elles lui ont coûtées.