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avec la forte hache du charpentier, avec le lourd levier de fer, afin de démolir, afin de raser jusqu’au niveau du sol, et, après l’avoir bien déblayé de ses décombres, le faire servir à l’élévation d’un édifice nouveau.


Alors François Favre, directeur du Monde maçonnique, fit contre mauvaise fortune bon cœur ; avec une audacieuse désinvolture, il allégua l’exemple même de la maçonnerie allemande, — exemple que d’ailleurs il trouvait « déplorable, » — pour démontrer que « l’esprit cosmopolite de la franc-maçonnerie n’a rien de contradictoire avec l’esprit patriotique. » Il mêlait même à cette argumentation rassurante un développement contre l’internationalisme des Jésuites. Cherchant des argumens pour prouver à ses concitoyens qu’on peut être à la fois maçon et patriote, François Favre en trouvait, et à profusion, au-delà du Rhin ; et jamais on ne pratiqua plus élégamment l’art de tirer parti des insultes.

Jean Macé avait encore plus de sérénité. Il profita d’un appel de l’Alpina, qui avait mis à l’ordre du jour de sa réunion solennelle de 1871 la question suivante : Patriotisme et Maçonnerie ; sa plume humanitaire s’acharna sur cette délicate question, et les Frères lui durent un très instructif travail. Considérant le langage de Findel comme « l’expression isolée de la manière de voir d’un Frère qu’aveuglent en ce moment les ardeurs du patriotisme, » il rappela ce manifeste pacificateur de Kehl, pour lequel il avait quêté, en 1867, des signatures allemandes ; et, s’abritant derrière ce souvenir, il entreprit l’étude philosophique du problème posé.


La patrie maçonnique, dit-il, c’est l’humanité ; disons mieux, car elle est placée plus haut encore : c’est l’idéal de justice à réaliser dans la personne humaine, partout où elle se rencontre. Chaque maçon a la sienne ensuite, dont les intérêts particuliers et les convenances ne sauraient prévaloir, c’est vrai, ni dans son esprit, ni dans son cœur, contre la loi de justice, contre les droits de l’humanité.


Il y a donc une « subordination, forcée pour chacun des maçons, de la patrie personnelle à celle qui nous est commune, à notre idéal de justice. » Cette subordination peut-elle faire du maçon un mauvais citoyen ? Non, répond Macé, car


La famille, la cité natale, la patrie sont une extension progressive de la sphère du moi, s’épurant davantage et pour ainsi dire s’évaporant, à mesure qu’il se répartit sur une plus large surface d’êtres, qui sont siens, en série décroissante, comme parens, concitoyens, compatriotes. Son dernier terme appréciable d’évaporation, c’est l’humanité, dans laquelle il achève en